Voyage à travers les arts de l’Islam

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SHAFAQNA – L’islam s’est diffusé de l’Atlantique aux frontières de la Chine, dans le sillage des cavaliers arabes. Sur cet immense territoire ont éclos des dynasties concurrentes et des cultures d’une grande diversité, pétries d’influences extérieures.

Nous vous invitons à un voyage en terre d’Islam en redécouvrant ces différentes dynasties à travers leur expression artistique la plus caractéristique, depuis le travail du cristal de roche jusqu’à l’architecture.

La mosaïque : les Omeyyades (661-750 – Syrie et Proche-Orient)

Mosaïques de la grande Mosquée de Damas, VIIIe s. Photo G. GrégorÀ la mort du prophète Mahomet, en 632, les cavaliers arabes occupent sans coup férir la Syrie et le Proche-Orient, possessions de l’empereur byzantin.

Les habitants de ces provinces, des chrétiens qui parlent une langue proche de l’arabe, n’opposent guère de résistance.

Il est vrai qu’ils perçoivent dans un premier temps l’islam comme une nouvelle variante du christianisme…

Les califes (*), chefs de la communauté musulmane, ne tardent pas à quitter Médine et la péninsule arabique pour s’installer à Damas, au cœur de la riche Syrie, à proximité de Jérusalem la sainte.

C’est dans ces deux villes que l’on trouve aujourd’hui les plus brillants exemples de l’art des Omeyyades, que ce soit le Dôme du Rocher à Jérusalem (VIIe s.) ou la grande mosquée à Damas (VIIIe s.).

Ces monuments se couvrent de mosaïques en pâte de verre, art typiquement byzantin, sur des centaines de mètres carrés : sur fond d’or, motifs végétaux et représentations architecturales se mêlent pour créer l’image du paradis.

L’art de la mosaïque perdurera à travers toute la civilisation musulmane, notamment avec l’utilisation de la faïence.

La céramique : les Abbassides (750-1258 – Irak, Iran, Égypte)

Avec la dynastie des Abbassides, le gouvernement califal se déplace en Irak.

Plat décoré de bleu cobalt, Mésopotamie, IXe s., Ashmolean Museum, OxfordDe sa nouvelle capitale, Bagdad, il étend son empire du Maghreb au fleuve Indus.

En vue de concurrencer la porcelaine venue de Chine, les artisans de Bagdad ont conçu de belles et délicates céramiques en adoptant une technique mise au point par les verriers égyptiens.

Cette technique du décor de lustre à reflet métallique consiste à intégrer dans la céramique ou le verre une fine couche de métal pour faire chatoyer l’objet de mille lumières.

Animaux, fleurs ou scènes de la vie quotidienne viennent égayer ces plats ou brocs qui font partie de la famille extrêmement riche de la céramique en pays d’Islam.

La sculpture : les Fatimides (Égypte, nord de l’Afrique, Sicile – 909-1171)

Les califes fatimides, ainsi nommés en l’honneur de Fatima, fille du Prophète, sont connus pour avoir promu les arts dans toutes les régions sous leur influence, de leur Tunisie d’origine jusqu’aux rives du Tigre et aux côtes atlantiques du Maroc.

Depuis la ville du Caire («La Victorieuse» en arabe), qu’ils fondent en 970 à proximité des anciennes cités copte et arabe, les califes encouragent une architecture novatrice et invitent les artisans à rivaliser de talent dans la conception des objets d’art.

Leurs matériaux favoris sont le simple bois qui permet de réaliser des fenêtres en dentelles, les fameux moucharabiehs, mais aussi l’ivoire et le cristal de roche. Aussi rares que précieuses, ces œuvres ont souvent été vendues à l’étranger et conservées dans les trésors des palais et monastères occidentaux.

Moucharabieh, exposition du palais de la Zisa, Palerme. Photo G. Grégor

Les tapis : les Seldjoukides (Turquie, Iran, Irak, Asie centrale – 1037-1299)

C’est en 1087 que la dynastie seldjoukide connaît son apogée avec le Turc Malek Shâh, surnommé «Sultan de l’est et de l’ouest».

 Tapis anatolien de type « Holbein », XVIe s., Musée national bavarois, MunichSes troupes lui ont permis de créer un empire s’étendant de la mer Noire à la Chine.

Sous son règne et celui de ses successeurs se développe l’art du textile et en particulier du tapis. Les mosquées d’Anatolie centrale se spécialisent dans cet artisanat en créant des pièces aux dessins géométriques faites de nœuds en laine.

Présent dans tout le monde musulman, le tapis est un d’abord un objet du quotidien pour les peuples arabes ou turcs initialement nomades mais aussi un symbole religieux puisqu’il isole le croyant des impuretés du sol.

Au fil des siècles et suivant les régions, il adopte une variété de matières, de motifs et de couleurs au point de devenir un élément de décoration de grand luxe que l’on retrouve à la Renaissance sur les tableaux de Carpaccio ou Mantegna.

Les peintres occidentaux aimaient en représenter les détails sur leurs toiles, à la manière d’Holbein qui a donné son nom à un style de tapis anatolien à grands motifs.

Le métal : les Ayyoubides (Syrie, Égypte, Proche-Orient, Tunisie – 1169-1260)

Aiguière au nom du sultan al-Malik al-Nasir Salah al-Din Yusuf, XIIIe s., musée du Louvre, ParisQui ne connaît le nom de Saladin ? Le célèbre conquérant kurde, auquel se confrontèrent les «Franji» (les Francs ou Croisés), commença par renverser les Fatimides avant de fonder à Damas la dynastie des Ayyoubides (de Ayyub, nom du père de Saladin).

La nouvelle classe dirigeante, soucieuse de montrer sa puissance mais ne pouvant s’offrir d’objets en métaux précieux, s’entoura de bronzes, cuivres et laitons incrustés dont la forme et la décoration devaient imiter des ustensiles plus prestigieux.

C’est ainsi que de simples objets en métal, utilisés couramment pour la guerre, la cuisine ou les soins du corps, se transformèrent en œuvres d’art grâce au talent des artisans originaires de Mossoul (Irak).

Influencée par l’enluminure pour la délicatesse des motifs créés par damasquinage, cette spécialité vit la réalisation de véritables chefs-d’œuvre, reconnus déjà comme tels à l’époque puisque leurs auteurs n’hésitèrent par à signer leurs productions.

Les sciences et les arts

Au cours des siècles, les souverains du monde musulman ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer des arts comme de la science.

Mansour b. Eliyâs Chirâzi, L'Anatomie du corps, Iran central (?), XVe s., Bnf, ParisIl n’est donc pas étonnant que ces deux domaines aient fini par se rejoindre, l’objet scientifique et utilitaire se faisant à son tour objet d’art.

C’est le cas par exemple des astrolabes, inventés par les Grecs mais perfectionnés par les artisans musulmans qui en ont fait un des objets les plus recherchés par les savants puis collectionneurs occidentaux.

Les botanistes, ingénieurs et médecins incitèrent également les enlumineurs à faire preuve de la plus grande précision pour illustrer leurs traités avec des planches détaillées et colorées.

On sait ainsi qu’un des célèbres dessins de Léonard de Vinci, représentant un fœtus, est en fait la reproduction d’un manuscrit du XVe s. expliquant les recherches d’Avicenne.

Pensons également à l’utilisation de la géométrie dans la mosaïque ou la céramique mais aussi dans l’architecture : derrière chaque monument se cache un mathématicien !

Le stuc : les Nasrides (Espagne – 1230-1492)

Depuis l’année 711, l’Espagne méridionale vit sous domination musulmane. Les Omeyyades y font construire la grande mosquée de Cordoue avant de céder la place aux Almoravides puis aux Almohades au XIIe siècle.

Ces derniers érigent la mosquée de Séville et sa célèbre Giralda, minaret en briques à section carrée inspiré de l’architecture sahélienne, copie conforme de la Koutoubia de Marrakech. Tous les minarets du Maroc se conforment depuis lors à ce style, qui les différencie des minarets fuselés du monde ottoman.

Au XIIIe s., l’Andalousie musulmane éclate en multiples dynasties rivales, dont les Nasrides, établis à Grenade. Ces roitelets épris d’art et de luxe se lancent dans des constructions à la fois simples et prestigieuses dont l’aboutissement est l’Alhambra («la Rouge» en arabe). Cet ensemble palatial qui domine leur capitale fait figure de joyau grâce aux délicats décors en stuc, ,

Le stuc est un enduit à base de chaux, facile à travailler avec des moules. Il a permis de créer d’innombrables stalactites et autres décorations raffinées, à l’origine polychromes.

Détail du palais de l'Alhambra, Grenade. Photo G. Grégor

L’enchantement se poursuit dans les jardins et les patios dont l’art atteint ici son apogée. Ils représentent le paradis recréé sur Terre (le mot paradis vient lui-même d’un mot persan qui désigne les jardins).

Le verre : les Mamelouks (Égypte, Syrie, Palestine – 1250-1517)

Flacon à parfum, Musée civique archéologique, BologneLorsque, en 1250, le roi de France Louis IX (futur Saint Louis) se lance à la conquête du Caire, il trouve sur sa route un ennemi redoutable : les cavaliers mamelouks.

Formant la garde du sultan ayyoubide, ces esclaves-soldats se soulèvent à la mort de leur seigneur et assassinent son successeur pour s’installer au pouvoir, au Caire et à Damas.

Leur empire va prendre le contrôle des voies commerciales autour de la Méditerranée et ainsi amasser les richesses.

C’est l’apogée de l’art du verre qui doit faire face à la demande des émirs, soucieux d’éclairer leurs nouvelles constructions par de délicates lampes de mosquée.

Coupelles, flacons et autres aiguières ornent également les riches maisons.

Ils se signalent par la beauté de leurs dessins, en peinture émaillée.

D’une incroyable fragilité, ces objets, dont une petite partie a pu traverser les siècles, démontrent la parfaite maîtrise de l’artisan devenu artiste.

L’architecture : les Timourides (Asie centrale et mineure – 1360-1506)

Le Turco-Mongol Timur, plus connu en Occident sous le nom de Tamerlan, fut surnommé de son vivant le «Maître du monde». Mais cet homme de guerre fut aussi un bâtisseur qui magnifia des villes dont le seul nom suffit encore à faire rêver : Boukhara et Samarcande.

Medersa Miri-Arab, Boukhara. Photo G. Grégor

Venus de tous les pays conquis, les artisans rivalisent d’habileté pour répondre au désir du conquérant qui, passionné d’architecture, n’oublie pas toute la gloire qu’il peut tirer de la construction de monuments prestigieux. Ceux-ci doivent donc être non seulement imposants mais aussi admirables par leur décoration extérieure.

Autour des places «du Sable» qui marquent le cœur des villes d’Asie centrale, l’alliance de la brique et de la faïence permettent d’associer monumentalité et finesse, puissance et équilibre. Avec leurs coupoles bleutées, les mosquées, mausolées et medersas (écoles) font rêver tous les voyageurs s’engageant sur la longue route de la soie.

La calligraphie

Langue sacrée, l’arabe a donné naissance à une véritable science qui est aussi un art : la calligraphie.

Ce goût pour la belle écriture s’est vite développé grâce à son statut de support de la parole divine mais aussi à cause de la méfiance vis-à-vis de la représentation figurative. Il faut attendre le Xe s. pour que, sous l’impulsion du vizir abbasside ibn Muqla, la calligraphie se dote de règles d’inspiration mathématique. Désormais, les artisans peuvent utiliser de façon harmonieuse les textes du Coran comme ornementation sur les édifices et objets.

Feuille d'ornementation avec texte en nashki prenant la forme d'un oiseau, Iran, XVIIe s., Museum für Islamische Kunst, Berlin

Deux grands courants s’affirment : le coufique d’une part, au style aéré et aux lettres très anguleuses qui s’adaptent bien aux exigences de l’architecture ou de la mosaïque ; le nashki d’autre part, écriture cursive qui cherche à reproduire le geste naturel de la main et dont les courbes habillent les pages des livres avec parfois la plus grande fantaisie, comme lorsque des calligrammes se forment.

C’est également l’aspect majestueux des signes tracés qui a fait naître au XVe la pratique des toughras, monogrammes très perfectionnés des sultans ottomans.

L’enluminure : les Safavides (Iran, Irak – 1501-1732)

Reza Abbasi, Jeune fille comptant sur ses doigts, Ispahan, 1626Les Safavides étaient à l’origine les membres d’une confrérie religieuse soufie qui, sous l’impulsion de son chef Ismaël, prit le pouvoir en Iran et Irak au début du XVIe s. et y imposa le chiisme.

L’art safavide a donné naissance à des merveilles architecturales, notamment à Ispahan, et à des œuvres plus intimes mais tout aussi précieuses : les miniatures. Caractérisées par des détails d’une précision remarquable, par exemple dans le dessin de la végétation ou des personnages, elles se distinguent également par leurs couleurs lumineuses rehaussées d’or ou d’argent.

Aucun espace vierge ne doit rester sur la page pour ne pas faire naître le sentiment d’horror vacui, l’horreur du vide.

Véritables tableaux, ces œuvres de luxe illustrent des textes aussi variés que recueils poétiques, chroniques historiques ou écrits religieux.

Dans les ateliers-bibliothèques des princes, les artistes font preuve d’un tel talent que, à la manière des peintres, la postérité a gardé leur nom. C’est le cas de Rezâ Abbasi qui s’était spécialisé dans les portraits d’une finesse touchante s’appuyant sur les traditions persane, indienne mais aussi occidentale.

La question de la représentation humaine

Peinture de  Qusayr 'Amra, Jordanie. Photo G. GrégorOn pense souvent que l’islam interdit toute image de la personne humaine : les mosquées ne sont-elles pas décorées uniquement de motifs géométriques ou floraux ? Récemment, les réactions violentes à la représentation caricaturale du prophète Mahomet ont relancé l’idée d’un interdit.

Il est vrai que l’islam s’est toujours méfié de la reproduction de la figure des êtres animés, perçue comme un risque d’idolâtrie.

L’importance du courant iconoclastechez les chrétiens byzantins, au VIIIe s., avait contribué à renforcer cette idée chez les musulmans voisins. C’est ainsi qu’on ne trouve pas de sculpture en trois dimensions, Dieu seul étant autorisé à élaborer une créature.

Au fil des siècles et suivant les peuples, cette loi s’est durcie ou au contraire adoucie. On trouve ainsi des peintures murales figuratives dans les bains omeyyades de Qusayr ‘Amra, construits au VIIIe s. en Jordanie.

Par la suite, les représentations humaines deviennent plus rares sauf dans les enluminures ou céramiques où les personnages sont davantage des stéréotypes que des tentatives de reproduire des individualités.

Adam et Eve chassés du paradis, XVe s., Istanbul, palais de Topkapi

Ce n’est pas le cas toutefois dans les miniatures perses et ottomanes ou les portraits moghols : influencés par les traditions pré-islamique puis européenne, les artistes adoptent la peinture figurative tout en respectant l’interdiction de représenter les traits du Prophète et de sa famille, à quelques exceptions près aux XIVe et XVe siècles.

La céramique de revêtement : les Ottomans (Turquie, de la Hongrie à l’Algérie – 1299-1924)

carreaux d'Iznik, palais de Topkapi, Turquie. Photo g. GrégorLa dynastie ottomane occupe une place à part dans les arts de l’Islam, non seulement à cause de sa durée mais aussi de la richesse de ses productions.

Après avoir pris le pouvoir aux Seldjoukides, son fondateur, le Turc Osman, devenu sultan en 1299, pose les bases d’une dynastie qui ne va cesser de favoriser la création artistique, notamment après la prise de Constantinople en 1453.

Le gouvernement ottoman de la Sublime Porte se fait alors mécène, couvrant ses nouveaux monuments de carreaux de céramique aux motifs peints sous glaçure.

Les souverains, grands collectionneurs de porcelaine chinoise, veulent en effet s’entourer du même type de motifs délicats de tulipe ou de jacinthe disposés géométriquement sur fond blanc.

Ce goût vient également du souvenir de la vie nomade où les tentes étaient embellies à l’extérieur de morceaux de feutre polychromes.

La ville d’Iznik devient le foyer de cette production presque industrielle qui embellit les murs de la mosquée Bleue ou encore du palais de Topkapi, à Istamboul.

carreau de Konya, Turquie

La joaillerie : les Moghols (Inde – 1526-1858)

Poignée de dague, Inde, XVIe s., collection particulièreLa dynastie moghole, qui fait remonter son origine à Tamerlan, règne à Delhi sur une grande partie du sous-continent indien, avec une écrasante majorité de sujets hindouistes.

Les souverains manifestent de ce fait une ouverture d’esprit inhabituelle au XVIe siècle.

Avides d’étaler leur richesse et fascinés par les pouvoirs mystérieux des gemmes, ils encouragent la joaillerie en tirant partie de l’abondance et la variété des pierres précieuses dans le sous-sol indien.

Les plus belles créations sont destinées à éblouir les hôtes de marque, maharadjas ou ambassadeurs : dagues, épées, ornements de turban…

Mission remplie. L’imaginaire occidental conserve des Grands Moghols le souvenir de souverains couverts de perles et de diamants.

Sources bibliographiques

L’Islam, Arts et civilisations, sous la direction de Markus Hattstein et Peter Delius, éd. H. F. Ullmann, 2005.

Giovanni Curatola, La Grande histoire de l’Art : L’Islam, Le Figaro éditions, 2007.

Gabriele Mandel Khân, L’Islam, éd. Hazan (« Guide des arts »), 2007.

Henri Stierlin, L’Art de l’Islam en Méditerranée, d’Istanbul à Cordoue, éd. Gründ, 2005.

Yves Thoraval, Dictionnaire de civilisation musulmane, Larousse, 2011.

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