les paradis fiscaux; Pourquoi les paradis fiscaux existent-ils encore ?

by Reza
fr.shafaqna - Pourquoi les paradis fiscaux existent-ils encore ?

SHAFAQNA – lemonde Par Maxime Vaudano : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ! » Huit ans après l’annonce tonitruante de Nicolas Sarkozy, les « Paradise Papers » viennent d’apporter une nouvelle fois la preuve que le président français avait parlé un peu trop vite. Car si des progrès déterminants ont été accomplis ces dernières années au rythme des différents scandales financiers, le problème reste entier.
Mais finalement, quel est le problème et de quoi parle-t-on ? La question des paradis fiscaux recouvre en fait deux problématiques : les impôts et l’opacité financière

Les « Paradise Papers » en 3 points

Les « Paradise Papers » désignent la nouvelle enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, dont Le Monde, soit 400 journalistes de 67 pays. Ces révélations s’appuient sur une fuite de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme.

Cette nouvelle enquête permet de lever le voile sur les mécanismes sophistiqués d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales.

Les « Paradise Papers » sont composés de trois ensembles de données, qui représentent au total près de 13,5 millions de documents :

6,8 millions de documents internes du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes mais présent dans une dizaine de paradis fiscaux.
566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour.
6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux : Antigua-et-Barbuda, Aruba, Bahamas, Barbades, Bermudes, Dominique, Grenade, îles Caïman, îles Cook, îles Marshall, Labuan, Liban, Malte, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Trinité-et-Tobago, Vanuatu.

1. Les impôts

Pour faire fonctionner leurs institutions et leurs services publics, tous les pays du monde réclament aux particuliers et aux entreprises installées chez eux de contribuer à l’impôt. En taxant les héritages, les revenus ou le patrimoine, la fiscalité assure aussi un rôle de redistribution sociale, pour limiter l’accroissement des inégalités.

Même si tout le monde ne paie pas ses impôts de gaîté de cœur, nos sociétés ne peuvent fonctionner qu’en acceptant ce contrat donnant-donnant entre l’Etat et les citoyens qu’on appelle le « contrat social ».

Bien sûr, certains refusent le contrat. De nombreux pays du monde proposent une fiscalité avantageuse pour les attirer : c’est ainsi que certains Français décident de s’installer en Suisse pour y devenir résidents fiscaux et que certaines grandes entreprises délocalisent certaines de leurs activités en Irlande ou au Luxembourg, où l’impôt est plus faible. Globalement, toutes ces techniques sont légales : quelqu’un qui n’est pas satisfait du contrat social proposé par son pays a le droit d’en changer, à condition qu’un autre pays accepte de l’accueillir. On appelle « optimisation fiscale » la pratique qui consiste à jouer légalement de cette concurrence fiscale.

Le problème, c’est que certains veulent jouer sur les deux tableaux : c’est le cas des particuliers qui veulent profiter des services publics et du système social de la France sans y payer leurs impôts ; ou des entreprises comme Appleou Google qui veulent développer leurs activités en France sans se soumettre à la même fiscalité que les entreprises françaises. C’est là qu’on commence à s’approcher de la frontière de la légalité et qu’intervient le deuxième problème posé par les paradis fiscaux.

2. L’opacité financière

Un fraudeur qui décide de cacher tout son argent dans un compte en Suisse pour éviter de payer ses impôts en France ou un footballeur qui se fait verser une partie de son salaire aux Bahamas pour ne pas le déclarer ont une préoccupation commune : que le fisc français ne l’apprenne jamais. Dans le cas contraire, ils pourraient subir un redressement fiscal et payer des amendes en plus de leurs arriérés d’impôts.

C’est pour cette raison qu’ils placent leur argent dans des centres « offshore », des endroits « hors sol » qui sont conçus pour faciliter le transfert des richesses. Ces centres présentent un triple avantage : outre une fiscalité très avantageuse et des réglementations plus souples, ils sont surtout très discrets. Ils permettent souvent aux détenteurs de sociétés et de comptes bancaires de dissimuler leur identité – ce qui les aide à échapper au fisc. Selon les estimations de l’économiste Gabriel Zucman, auteur de La richesse cachée des nations (Seuil, 2017), les 0,01 % les plus riches du monde parviennent ainsi à esquiver 30 % des impôts qu’ils devraient normalement payer.

Le problème est similaire pour les entreprises : les grandes multinationales se retranchent derrière le secret des paradis fiscaux qui leur accordent des régimes fiscaux de faveur. Grâce à l’opacité et au manque de coopération internationale de ces pays d’accueil, ils peuvent y déplacer tous les profits qu’ils génèrent dans le monde entier afin d’être moins taxés – en utilisant parfois des subterfuges pour transférer artificiellement de l’argent à travers les frontières. Gabriel Zucman estime que 40 % des profits des multinationales atterrissent ainsi dans les paradis fiscaux. Et c’est faute de coopération que les Etats dont les recettes fiscales sont grévées peinent à combler les failles juridiques qui facilitent l’évasion fiscale des entreprises.

Mais l’opacité des centres offshore pose un autre problème : avec des réglementations moins exigeantes et des contrôles moins efficaces, ils constituent un havre pour l’argent sale. C’est pourquoi les fonds liés à la corruption, au crime organisé et au terrorisme circulent quasi systématiquement par ces pays peu regardants.

Mais pourquoi les paradis fiscaux existent-ils encore ?

Il ne faut pas minorer les progrès qui ont été accomplis ces dernières années, en particulier depuis que la lutte contre l’évasion fiscale est devenue l’une des priorités de la communauté internationale après la crise financière de 2008, et que les « leaks » et les révélations médiatiques se sont multipliés.

De plus en plus de pays, y compris les paradis fiscaux les plus nocifs, acceptent de bannir les pratiques qui favorisent l’opacité, même si c’est de mauvaise grâce. A compter de 2017-2018, la plupart se sont par exemple engagés à mettre fin au secret bancaire et à coopérer pour faciliter l’identification des fraudeurs fiscaux qui ont des comptes bancaires à l’étranger. De nouvelles règles commencent aussi à se mettre en place pour interdire les pratiques d’optimisation fiscale les plus agressives des multinationales.

Il serait risqué de crier victoire trop vite : comme le rappelle Gabriel Zucman dans son livre, l’histoire a montré que les paradis fiscaux et les banquiers ne sont pas toujours à la hauteur des promesses de transparence qu’ils formulent. Car c’est leur gagne-pain qu’on leur demande de saborder.

En outre, même si certains améliorent leurs pratiques sous la pression de la communauté internationale, le risque est fort que d’autres pays moins contrôlés prennent le relais. On voit d’ailleurs bien dans les différents « leaks » que les fraudeurs n’hésitent pas à opter pour une juridiction offshore plus opaque quand leur premier paradis fiscal montre des signes de faiblesse…

Quant aux multinationales, elles gardent souvent un coup d’avance sur les Etats grâce aux conseils de cabinets spécialisés dans l’optimisation fiscale. Au moment où la faille qu’elles utilisaient dans un pays est comblée, elles ont bien souvent déjà trouvé une solution de remplacement pour continuer à payer moins d’impôts.

Les détracteurs des paradis fiscaux regrettent souvent que toutes ces réformes anti-évasion fiscale, identifiées depuis des années par les chercheurs, les ONG, les médias et les autorités, ne se mettent pas en place plus vite. Cette inertie se nourrit bien sûr que la résistance des paradis fiscaux eux-mêmes, qui ont basé l’essentiel de leur modèle économique sur le dumping fiscal et réglementaire.

Mais comment ces petits trous noirs de l’économie mondiale, qui ne sont que des nains politiques, réussissent-ils à imposer leur loi aux grands pays industrialisés qui cherchent à les neutraliser ? C’est là le paradoxe fondamental de la lutte mondiale contre les paradis fiscaux : la finance offshore est devenue tellement importante dans l’économie mondiale que certains craignent de ne plus pouvoir s’en passer. Ce qui peut expliquer la réticence des Etats-Unis à hausser le ton face aux Bermudes ou aux îles Caïmans, ou du Royaume-Uni à mettre fin aux régimes fiscaux ultra-avantageux de ses dépendances insulaires, comme Jersey, l’île de Man ou les îles Vierges.

 

You may also like

Leave a Comment

This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.

The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.