Le fait religieux, grand oublié des écoles de journalisme

by Reza

L’Association des journalistes d’information sur les religions (Ajir) décerne pour la première fois mercredi 7 juin le prix « Religions/Jeunes journalistes », destiné aux étudiants en écoles de journalisme.
Si elle vise à intéresser les futurs journalistes aux questions religieuses, l’initiative cherche surtout à interpeller les écoles, qui font encore majoritairement l’impasse sur le sujet.

Erreur dans les termes, cliché historique, méconnaissance des institutions… Quel croyant ne s’est-il pas déjà agacé de lire ou d’entendre, dans les médias, des imprécisions concernant sa religion ? Alors que les religions font de plus en plus la une de l’actualité, se pose de manière aiguë la question du déficit de culture religieuse chez les journalistes, et son corollaire, leur formation à ces sujets dans les écoles de journalisme, en particulier les quatorze reconnues par la profession.

Au sein de ces cursus, les étudiants sont formés aux différentes techniques du journalisme – presse écrite et Web, radio, télévision – et sur le plan théorique, dans différents domaines relevant de la culture générale : économie, géopolitique, institutions européennes, histoire des médias, par exemple, sans oublier le cours de « police-justice » sur le fonctionnement du système judiciaire français, ou encore des enseignements consacrés au journalisme sportif ou culturel. Sur les religions, en revanche, rien, ou si peu.
Un manque de savoir-faire des jeunes journalistes

Dans la majorité de ces écoles, en effet, les programmes ne comportent aucun cours consacré à la question religieuse. Les responsables pédagogiques s’en expliquent en indiquant que les étudiants traitent les sujets religieux, comme toute autre information, dans le cadre de leurs exercices pratiques. Ils estiment que la religion, sujet transversal s’il en est, est forcément abordée dans des cours dont elle n’est pas l’objet principal. « Nous avons par exemple un cours de géopolitique du Moyen-Orient, au cours duquel la question de l’islam est nécessairement abordée », cite Stéphane Cabrolié, coresponsable du master de journalisme de l’EJCAM, l’école de Marseille. Pour lui, la question religieuse « relève du traitement de l’information comme tout autre sujet, toujours dans le souci du respect de la déontologie ».

Même tonalité à l’Institut pratique du journalisme (IPJ), l’école parisienne intégrée à l’université Paris-Dauphine. « Nous n’avons pas de cours spécifique sur le sujet, reconnaît sans détour Pascale Cherrier, responsable de la formation en alternance. En revanche, il y a depuis quelques années des questions sur les religions lors de l’épreuve de culture générale du concours d’admission, ce qui n’existait pas avant. » Cette place, pour le moins marginale, explique sans doute le manque de savoir-faire des jeunes journalistes lorsqu’ils sont confrontés à des sujets religieux.
« Le règne de l’analphabétisme religieux le plus total »

Deux exceptions méritent toutefois d’être signalées : l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ), dont les étudiants sont amenés, dans le cadre de leur formation, à visiter différents lieux de culte et à rencontrer des responsables religieux, et l’École de journalisme de Toulouse (EJT), dont le programme comporte dès la première année un cours intitulé « Connaissance des religions ». Les apprentis journalistes travaillent sur l’islam, le christianisme et le judaïsme, mais aussi sur les coptes. Des modules sur le bouddhisme et les dérives sectaires sont en cours d’élaboration. « Nos étudiants sont très ouverts sur le sujet, et ils sont même demandeurs car en arrivant, ils n’y connaissent rien », affirme Bertrand Thomas, le directeur de l’école. « Il nous semble essentiel qu’ils aient des repères, même s’ils ne prévoient pas du tout de traiter ce genre de sujets plus tard », insiste-t-il.

C’est pour que ces exceptions n’en restent pas que l’Association des journalistes d’information sur les religions (Ajir) a créé cette année le prix « Religions/Jeunes journalistes ». (lire ci-dessous). Membre du jury, Henri Tincq, qui fut spécialiste des questions religieuses pour La Croix et Le Monde et pour le site Slate, se réjouit de sa création mais ne cache pas son inquiétude. « Ce qui se passe dans les écoles de journalisme est le reflet de l’évolution de la société française : nous vivons le règne de l’analphabétisme religieux le plus total, s’emporte-t-il. Aujourd’hui, l’information religieuse dans les grands médias est réduite à ses manifestations les plus spectaculaires ou les plus violentes. Mais c’est précisément parce qu’il y a des dérives du religieux, une montée des intégrismes, qu’il ne faut surtout pas fuir le sujet ! »
« Les rédactions ont besoin de profils compétents »

Geneviève Delrue, journaliste à RFI, membre du jury du prix de l’Ajir « Religions/Jeunes journalistes »

« Même s’il a fallu du temps et plusieurs actualités dramatiques pour qu’elles s’en rendent compte, les rédactions ont désormais conscience qu’elles ont besoin de profils compétents sur les questions religieuses. Et il y a un décalage entre ce besoin et les enseignements dans les écoles, qui ne l’ont pas encore intégré alors qu’elles ne peuvent plus en faire l’économie. C’est aussi lié à la culture de ces écoles, dont les fondateurs étaient totalement étrangers à ces questions. Mais maintenant que la religion nous revient comme un boomerang, il y a dans ce Prix une incitation très nette à l’égard des écoles. C’est une manière de leur dire “n’oubliez pas ce sujet”. »
source: Gauthier Vaillant / La croix

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