SHAFAQNA – huffingtonpost.fr/Geoffroy Clavel: Promis, juré: Emmanuel Macron ne ressuscitera pas la “police de proximité”. Idéalisée par les héritiers de Lionel Jospin et constamment caricaturée par ceux de Nicolas Sarkozy, cette éphémère doctrine policière, qui s’imposa en 1998 avant sa suppression brutale en 2003, ne pouvait trouver grâce aux yeux d’un président de la République qui a fait voeux de réconcilier la gauche et la droite sur l’autel de la sécurité.
C’est pourtant bien un dispositif très largement inspiré de la “pol prox” qu’Emmanuel Macron doit dévoiler ce mercredi 18 octobre devant un aréopage de gradés: 500 directeurs départementaux de la police, commandants de groupement de gendarmerie, préfets et cadres du ministère de l’Intérieur sont attendus à l’Elysée pour y assister à la naissance de la “PSQ” pour “police de sécurité quotidienne”.
Son objectif: lutter efficacement contre la délinquance “et en même temps” rapprocher la police de la population au plus près du terrain. Une philosophie qui n’est pas sans rappeler ce que fut (ou ce qu’aurait dû être) la police de proximité, née à la fin des années 90 pour combattre le “sentiment d’insécurité”.
Une police implantée, préventive et dissuasive
Flashback. En 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale et précipite des élections législatives anticipées. Contrecoup du conflit social de 1995, la droite est balayée et la majorité plurielle menée par le socialiste Lionel Jospin l’emporte. Nouvelle cohabitation: nommé premier ministre, Lionel Jospin charge son ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, d’installer la “pol prox”.
Sa philosophie? Implanter dans des territoires spécifiques des unités de police nationale pour rassurer les populations et mieux anticiper les crimes et délits. “La police de proximité ce n’est pas seulement une politique de territorialisation, c’est une police qui est à la fois préventive, dissuasive et répressive. A cet égard, elle exerce pleinement ses prérogatives de police judiciaire, participe aux renseignements, met en œuvre les techniques de la police scientifique technique. Enfin, une dimension importante est le suivi et l’aide aux victimes”, résumera cinq ans après sa suppression Jean-Pierre Chevènement.
Testée dans quelques villes en 1998, la nouvelle doctrine est rapidement étendue à 62 puis 468 circonscriptions, en priorité dans les quartiers difficiles.
Au début des années 2000, Jean-Louis Herreros est chef d’Etat-major au commissariat de police de Marseille. Et c’est à lui qu’il incombe d’installer la “pol prox” dans les quartiers nord de la Cité phocéenne. “Le policier de proximité, c’était un gars qui avait les pleins pouvoirs sur son territoire. Sa mission était de s’insérer dans la population. Il fallait que les gens s’habituent à le côtoyer tous les jours. Son rôle était aussi bien préventif, dissuasif que répressif”, se remémore l’ancien commandant, aujourd’hui à la retraite. En bref: une police visible, humaine, rassurante mais aussi capable d’intervenir en cas de pépin.
Manque de moyens et guerre des polices
“Sur le papier, l’idée était belle”, se souvient-il. Mais les problèmes s’accumulent vite. Faute de moyens financiers, “on a déshabillé les polices secours pour habiller la police de proximité”. Les transférés ne sont pas tous ravis de leurs nouvelles attributions ni formés pour leur nouvelle mission. Les rotations nocturnes et diurnes exigent par ailleurs des renforts importants qui tarderont à arriver. Et l’important effort d’équipement requis, malgré l’arrivée de VTT, rollers ou mobylettes, ne suit pas toujours.
Un constat partagé par Patrice Bergougnoux, directeur général de la police nationale de 1998 à 2002. Les moyens humains et financiers “ont certes été programmés, mais comme toujours, ils n’étaient pas disponibles sur-le-champ, notamment en raison du temps nécessaire à la formation du personnel”, expliquera-t-il dans son livre “L’Intérieur”. “Le tort, c’est d’avoir laissé parfois un policier avec un ou deux ADS (adjoint de sécurité) pour gérer tout un territoire. Pour bien faire, il aurait fallu multiplier les moyens humains par deux”, estime aujourd’hui Jean-Louis Herreros.
Or, sous la pression d’une cohabitation longue avec un Jacques Chirac en embuscade, Lionel Jospin veut aller vite. Trop vite. En généralisant le dispositif sous la pression des élus locaux qui réclament “leurs” policiers de proximité, le premier ministre socialiste est contraint de passer d’une profonde réforme de structure à une stratégie de saupoudrage, délayant les effets escomptés, favorisant les résistances et les rivalités internes.
Dans les dernières circonscriptions implantées en 2002, “on aurait peut-être pu faire l’économie de la police de proximité”, reconnaîtra par la suite Jean-Pierre Chevènement… qui n’était plus ministre à l’époque.
“Il y a eu un choc culturel entre la police de proximité, dont la vocation était d’éviter les délits avant qu’ils ne soient commis, et les Bac (brigades anti-criminalité) qui ne vivent que pour les flagrants délits”, témoigne presque 20 ans après Jean-Louis Herreros. Les Bac seront les premières à se féliciter de la fin du dispositif qui ne survivra pas à l’alternance.
Trou noir statistique et culture du résultat
Lorsque Nicolas Sarkozy est nommé ministre de l’Intérieur en 2002, le nouveau “premier flic de France” impose rapidement sa propre doctrine: conspuer le “laxisme” et “l’angélisme” de la politique préventive de la gauche pour lui substituer une “culture du résultat” fondée sur des objectifs chiffrés et donc essentiellement répressifs.
La tâche n’est pas difficile. Car s’il est facile de comptabiliser le nombre de plaintes reçues ou de crimes élucidés, il existe en revanche un trou noir statistique pour recenser les infractions évitées. “Contrairement aux flagrants délits, la prévention ne se mesure pas”, résume Jean-Louis Herreros. Pas plus que le sentiment d’insécurité que la “pol prox” devait combattre. Parallèlement, les différents rapports de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne sont guère tendres avec une doctrine mal installée, accusée de mettre en péril les policiers qui du coup rechignent à s’implanter durablement dans leurs territoires.
Aux vrais ratages s’accompagne l’habileté politique d’un Nicolas Sarkozy en pleine gloire. Se saisissant d’un match de rugby organisé par une police de proximité à Toulouse, le ministre de l’Intérieur donne le coup de grâce: “Organiser un match de rugby pour les jeunes du quartier, c’est bien, mais ce n’est pas la mission première de la police. Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux.”
Caricaturale (les actions sociales des polices de proximité étaient marginales), l’attaque fait néanmoins mouche et installe l’image d’une police compromise et impuissante face à une délinquance violente à laquelle Nicolas Sarkozy promet une répression à coups de “kärcher”.
Dès lors, se souvient Jean-Louis Herreros, “on s’est enfermé dans les hôtels de police. Et on en sortait que pour les interventions. Les gens ne voyaient plus les policiers que pour leur mission répressive. Ce fut l’âge d’or de la Bac”. Ainsi que celui des polices municipales, dans lesquelles un nombre croissant de municipalités vont investir pour suppléer les absences de la police nationale.
Aux effets pervers de la politique du chiffre, qui incitera des policiers à privilégier les mains courantes pour ne aggraver leurs statistiques, s’additionneront à partir de 2007 les coupes massives dans les effectifs de police au nom de l’application de la RGPP. Seule la menace terroriste y mettra un terme.
Dix ans plus tard, le spectre de la “pol prox”, lui, rôde encore.