Isla Délice, les secrets du roi du halal

by Za As

SHAFAQNA – L’express | par Julie de la Brosse :  C’est un entrepôt discret, coincé entre un hangar postal et une étroite maison sans charme de la banlieue d’Argenteuil, au nord de Paris. Au fond de la cour, une camionnette drapée du sémillant logo multicolore Isla Délice stationne devant un autre bâtiment de seconde zone. Ici, rien n’indique qu’on se trouve devant le siège du n°1 français de l’alimentation halal. Isla Délice, pionnière sur le marché de la viande rituelle, n’est pourtant pas une petite PME de province. En 2017, cet empire méconnu de l’alimentation rituelle, qui emploie 200 personnes sur trois sites, a réalisé pas moins de 70 millions d’euros de chiffre d’affaires (en hausse de près de 50 % sur trois ans). Soit une part de marché qui atteindrait entre 40 et 50 % de la charcuterie et de la viande halal vendues en grande distribution, loin devant ses concurrents, Fleury Michon, Isla Mondial ou encore Reghalal. Alors, comment Zaphir, la société mère d’Isla Délice, a-t-elle réussi ce tour de force de s’imposer sur le marché si convoité du halal ?

Construire une offre de charcuterie halal… Culotté

C’est en 1990 que Jean-Daniel Hertzog, jeune commercial ayant fait ses armes dans l’exportation de viande vers le Moyen-Orient, décide de se lancer dans l’aventure halal. Le marché est alors balbutiant. Les rayons de supermarché destinés à la communauté musulmane n’ont en effet rien à voir avec ce qu’ils sont aujourd’hui, imposants et variés, jusqu’aux plats cuisinés et petits pots pour bébé. L’idée de Hertzog est plutôt culottée. En dehors des saucissons traditionnels à pâte fine, les musulmans n’ont pas l’habitude de consommer de la charcuterie.

Jambons, saucissons secs, lardons… Isla Délice va être le premier en France à créer une gamme de charcuterie sans porc, entièrement élaborée dans le respect du rite sacrificiel prescrit par la loi islamique (l’animal doit être tourné vers La Mecque, égorgé et saigné vivant par un musulman). “Notre grande force a été d’attaquer le halal comme n’importe quel marché alimentaire, en collant aux aspirations des consommateurs traditionnels et en innovant avec 10 à 12 nouveaux produits par an”, explique aujourd’hui la directrice générale du groupe, Frédérique Dokes, ancienne de chez Danone.Pour asseoir sa crédibilité chez les consommateurs musulmans, Isla Délice prend soin de faire certifier ses produits par les organismes les plus exigeants.Pour asseoir sa crédibilité chez les consommateurs musulmans, Isla Délice prend soin de faire certifier ses produits par les organismes les plus exigeants.

Une marque “fièrement” halal

Au départ, seuls les circuits de distribution spécialisés, et notamment les boucheries de quartier, sont démarchés. Puis, en 1997, l’entreprise, qui vient aussi de se lancer dans les surgelés, s’attaque à la grande distribution. “Ce fut un véritable travail de fourmi. Nous avons dû convaincre les magasins un par un du potentiel de ce créneau”, poursuit Frédérique Dokes. À la fin des années 2000, les choses se compliquent avec l’arrivée des grands groupes, comme Fleury Michon, LDC, Herta (qui a abandonné après la découverte de traces d’ADN de porc dans des saucisses halal) ou encore Carrefour et Casino, qui, alléchés par la croissance à deux chiffres du secteur, lancent leurs propres marques halal.

Dans ce marché compliqué, où on avance à pas feutrés de peur d’être stigmatisant ou au contraire de favoriser la montée en puissance du communautarisme, Isla Délice possède un atout de taille. Contrairement aux géants de l’alimentation conventionnelle, l’entreprise n’a pas peur de s’adresser aux consommateurs musulmans. En août 2010, à la veille du ramadan, elle frappe un grand coup. Avec l’agence Herezie (ça ne s’invente pas !), elle sort la campagne “Fièrement halal”, déployée en 4×3 dans 150 villes de France. Deux ans plus tard, elle réitère avec un slogan tapageur : “Qualité – Fierté – Halalité”, référence au triptyque républicain. “Nous voulions nous positionner au juste équilibre entre la tradition et la modernité. Nous ne voulions pas reprendre les vieux clichés passéistes et arabisants”, souligne Frédérique Dokes.
En août 2010, à la veille du ramadan, Isla Délice frappe un grand coup avec la campagne "Fièrement halal".En août 2010, à la veille du ramadan, Isla Délice frappe un grand coup avec la campagne “Fièrement halal”. Pour asseoir sa crédibilité chez les consommateurs musulmans, Isla Délice prend soin de faire certifier ses produits par les organismes les plus exigeants. Dès le départ, elle s’associe avec le plus sévère mais aussi le plus clivant d’entre eux, le certificateur privé AVS (A votre service). Mais après vingt ans de coopération, l’affaire tourne au vinaigre : pour abattre la volaille, AVS refuse l’utilisation de l’électronarcose, une technique d’étourdissement dont l’objectif est de réduire la souffrance animale, désormais imposée par la loi. En 2012, c’est la rupture, Isla Délice se lie avec l’ARGPM, l’organisme certificateur de la grande mosquée de Lyon.

Le pari est risqué car, en se coupant d’AVS, Isla Délice perd une partie de son réseau de distribution chez les bouchers labellisés AVS, ainsi que sa clientèle la plus rigoriste. “Pour les industriels, cette histoire de certification est devenue doublement gênante : outre la question du bien-être animal, un abattage trop exigeant prend du temps et ralentit les cadences de production”, décrypte Frédéric Freund, de l’Oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs.

Des produits régulièrement attaqués

Une période délicate donc pour Isla Délice. “D’autant que, depuis longtemps, certains membres de la fachosphère n’ont qu’une envie : lui faire la peau”, explique Fateh Kimouche, fondateur du site Al-Kanz, le site d’information musulman le plus populaire de France. Et pour cause, Jean-Daniel Hertzog n’est pas seulement leader dans son secteur. De confession juive, l’homme est régulièrement accusé par la propagande antisémite de financer Israël et de faire son beurre sur le dos des musulmans. Illustration avec l’une des dernières vidéo du polémiste ultrarécidiviste, Alain Soral, dont l’intitulé parle de lui-même : “Isla Délice Isla, Malice, Isla Sévices.”

Parmi les autres attaques dont Isla Délice est la cible, on reproche à la marque la qualité de ses produits. Récemment, elle a subi les foudres de l’association Foodwatch, qui a lancé une pétition pour dénoncer des arnaques à l’étiquette. “Isla Délice abuse de sa position de leader en faisant aux consommateurs des promesses qu’elle ne tient pas. Il n’y a par exemple ni veau, ni boeuf dans des saucissons qui l’annoncent pourtant”, déplore Ingrid Kragl, la directrice de l’information, qui regrette que la marque n’ait jamais répondu à ses sollicitations. “Ils sont certes innovants et sérieux, mais leurs produits sont gustativement très mauvais”, attaque de son côté Fateh Kimouche, qui raconte avoir refusé leurs avances pour faire de la publicité sur son blog…Lancée le 15 mai 2018, la pétition Foodwatch dénonçant une arnaque à l'étiquette a recueilli 3984 signatures.

Lancée le 15 mai 2018, la pétition Foodwatch dénonçant une arnaque à l’étiquette a recueilli 3984 signatures.

Un goût prononcé pour la discrétion

Est-ce pour toutes ces raisons que l’entreprise nourrit un goût si prononcé pour la discrétion ? Depuis plusieurs années, Jean-Daniel Hertzog n’apparaît jamais sur le devant de la scène. L’homme, que l’on dit redoutable en affaires, n’a d’ailleurs pas souhaité nous rencontrer pour cette enquête. Sur Internet, aucune photo de lui ne circule. Tout juste apprend-on qu’il serait mandataire de 13 sociétés dans les secteurs du commerce de la viande, ou de l’immobilier, ou encore de la gestion de patrimoine. Quant à la société mère d’Isla Délice, Zaphir, elle ne dépose plus ses comptes depuis 2001, date à laquelle elle a été radiée du registre du commerce, avant d’être de nouveau active à la fin des années 2000. Elle serait désormais propriété du groupe Amalric, lui-même présidé par SAS Indev, une société de conseil détenue par Jean-Daniel Hertzog et sa famille.

Le fonds d’investissement IDI, qui a racheté 49 % du groupe Amalric en 2015, n’est pas plus disert. Contacté par L’Express, ce dernier n’a pas répondu à nos sollicitations. Parmi les rumeurs entourant l’entreprise, il se dit que celle-ci serait à vendre et que Fleury Michon pourrait être intéressé. De quoi peut-être aussi expliquer la réserve de ses actionnaires.

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