En Guyane, un projet de mine d’or interroge l’avenir de notre économie

by Sa Ma
Vue aérienne de la zone de la «Montagne d'Or», où se situe un vaste projet d'exploitation d'une mine d'or actuellement débattu en Guyane, le 12 octobre 2017. | Jody AMIET / AFP

SHAFAQNA – Slate | par Gérard Horny : Échanges houleux, invectives et intervention des forces de l’ordre. C’est peu dire que le débat public autour du projet minier de la Montagne d’or en Guyane, qui a commencé le 7 mars et doit se poursuivre jusqu’au 7 juillet, est passionné. Le 7 avril, un débat à Cayenne a même dû être clos prématurément face à la violence des échanges.

Le conflit est ouvert entre les défenseurs du projet, pour qui l’exploitation de cette mine est une chance pour la Guyane, qui manque cruellement d’activités industrielles et d’emplois, et ses opposants, déterminés à empêcher l’extraction de ce métal précieux, qui est une activité particulièrement polluante, et dont ils doutent des retombées économiques. Au plus haut niveau de l’État, le président Emmanuel Macron et le ministre de la Transition écologique eux-mêmes ont affiché leurs divergences.

Or, si ce débat concerne aujourd’hui la collectivité territoriale de Guyane, sa portée est bien plus vaste. Car l’équation que devront résoudre les pouvoirs publics dans les prochains mois n’est pas très éloignée de celle qui s’est posée à Notre-Dame-des-Landes, et peut se retrouver sous une forme similaire dans beaucoup d’autres dossiers. Avec, en Guyane, une situation exacerbée par la gravité de la situation économique, qui rend particulièrement difficile l’idée d’écarter d’un trait de crayon un projet pouvant permettre la création de centaines voire de milliers d’emplois.

Des opposants au projet manifestent à Cayenne, le 26 octobre 2017, lors d’une visite en Guyane du président Emmanuel Macron. | Jody Amiet / AFP

La Guyane, territoire économiquement sinistré

Comme pour toute action dramatique, il faut d’abord planter le décor. La Guyane est à la fois un département, le plus étendu que compte la France, et une région, la deuxième par la superficie, mais une des moins peuplées: moins de 260.000 habitants au dernier recensement, soit une densité de seulement 3,1 habitants au km². L’explication est simple: la forêt équatoriale occupe 98% du territoire. Mais la faiblesse apparente du nombre d’habitants ne doit pas induire en erreur: la démographie est ici un problème. En quarante ans, la population a été multipliée par 4,7. Et l’on s’attend à ce qu’elle double encore d’ici à 2040. «La Guyane est le territoire français qui a certainement connu le plus de vagues migratoires. En offrant l’accès à l’éducation, à la santé, aux minima sociaux et à la stabilité politique, la Guyane est un territoire attractif dans son environnement régional, notamment pour les ressortissants du Suriname, du Brésil et de Haïti», soulignent les experts de l’Insee. Or, l’emploi ne suit pas. En 2017, le taux de chômage s’est établi à 22% de la population active, à 44% pour la tranche d’âge 15-24 ans.

Où trouve-t-on du travail en Guyane? Dans l’exploitation du bois, dans la pêche, le bâtiment, les travaux publics, la station spatiale de Kourou… et bien sûr l’or. Le pays compte de nombreuses exploitations de petite taille, qui produisent, de façon légale, environ deux tonnes par an. Mais selon les estimations de la préfecture, plus de 6.500 orpailleurs produisent illégalement entre cinq et dix tonnes par an.

Un projet pharaonique, porté par des sociétés internationales

Dès 1976, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a mis en évidence la présence du métal précieux sur le site dit de la Montagne d’Or; les études qui ont suivi ont montré qu’il pouvait être envisagé d’y placer une installation de dimension industrielle.

Le projet est porté par la Compagnie minière Montagne d’Or, qui succède à une petite entreprise locale, la Sotrapmag; la nouvelle société enregistrée en Guyane en 2016 est détenue maintenant à 55,01% par Nordgold et à 44,99% par Colombus Gold. La compagnie Nordgold, qui a été cotée à Londres pendant quelques années et y a toujours son siège social, est détenue à plus de 99% par le milliardaire russe Alexey Mordashov, qui a placé dans cette structure toutes ses activités d’exploitation du métal précieux en Russie, au Kazakhstan et en Afrique; Mordashov est par ailleurs actionnaire à 77% du groupe sidérurgique et minier Severstal. Quant à Colombus Gold, il s’agit d’une société canadienne dont l’activité essentielle consiste à explorer et développer le site de la Montagne d’Or.

La Compagnie minière se propose d’extraire 85 tonnes d’or sur une période de douze ans, soit environ sept tonnes par an. Si le projet est retenu, la préparation du site et des infrastructures nécessaires se déroulera entre 2019 et 2021. Pendant cette période, plus de 900 personnes seraient employées. Ensuite, pendant la phase d’exploitation, de 2022 à 2033, le site ferait travailler 750 personnes, mais la compagnie estime que le nombre d’emplois induits et indirects pourrait atteindre 3.000. Enfin, pendant cinq ans, les installations seraient démontées, le site serait réaménagé, végétalisé et il serait l’objet d’un suivi post-exploitation pendant trente ans, jusqu’en 2069. Au total, la compagnie estime qu’elle devra investir 782 millions d’euros sur toute cette période.

Ainsi présenté, le projet est séduisant: une activité légale et encadrée par des professionnels ayant une expertise internationale, des embauches, des impôts versés à la collectivité territoriale et à la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, des actions de formation qui amélioreraient la qualification de la main-d’oeuvre locale. On comprend que beaucoup d’élus, à commencer par le président de la collectivité territoriale, soient séduits. En métropole également, le projet a reçu un accueil chaleureux. En août 2015, le ministre de l’Économie s’est rendu en Guyane, a visité le site et a apporté un soutien appuyé au projet, qui serait un excellent exemple du «renouveau minier de la France». Petite précision, qui a son importance: ce ministre de l’Économie était un certain Emmanuel Macron.

Ce renouveau minier serait à la fois encouragé et encadré par un nouveau code minier, dont la réforme est à l’étude depuis 2011. Un texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2017, mais reste en attente d’examen au Sénat. La discussion va probablement reprendre sur d’autres bases avec l’actuel ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot .

L’environnement, maillon faible

Le débat entourant cette réforme est complexe: comment satisfaire à la fois ceux qui souhaitent que la France bénéficie de l’exploitation des ressources de son sous-sol et les défenseurs de l’environnement? Le projet de la Montagne d’Or en fournit une belle illustration. Pour ses opposants, il n’existe qu’une seule solution satisfaisante: y renoncer purement et simplement. Ceux-ci sont nombreux et actifs: ce sont les populations autochtones, qui considèrent qu’il s’agit d’une agression contre leur territoire, et les diverses associations écologistes, purement locales comme le collectif Or de Question ou nationales comme les Amis de la Terre, la Fondation Nicolas Hulot (qui avait adopté cette position avant l’entrée de Nicolas Hulot au gouvernement) ou le WWF.

Les arguments sont nombreux et l’atteinte à l’environnement manifeste. D’autant plus qu’à la Montagne d’Or, il ne s’agit pas de défoncer le sol d’une région aride et désertique, mais au contraire celui d’une zone à la biodiversité exceptionnelle.

Quelques chiffres significatifs sont à citer. Dans un gisement d’or, il n’y a qu’un ou deux grammes de métal précieux par tonne de roche. Dans ce cas précis, la teneur est estimée à 1,6 gramme. Pour atteindre l’objectif d’une production annuelle proche de sept tonnes d’or par an, il faudra extraire chaque jour 12.500 tonnes de minerai, plus 67.500 tonnes de roches dites stériles. Pour récupérer l’or, il faudra ensuite traiter le minerai au cyanure. Les résidus seront entassés sous forme de tonnes de boues retenues par des barrages, qui peuvent céder; les exemples de catastrophes de ce type ne manquent pas. Les écologistes se montrent d’autant plus inquiets que le site de la mine serait situé juste entre deux réserves biologiques intégrales, où toute exploitation forestière est proscrite. Et même en supposant qu’il n’y ait pas d’accident, l’exploitation provoquera une tranchée de 2,5 kilomètres de long sur 400 mètres de large, d’une profondeur variant entre 120 et 220 mètres. L’importance de cette saignée, exprimée en équivalent terrains de football, est le premier argument utilisé par le WWF pour lancer une grande campagne de refus du projet avec le footballeur Ibrahim Cissé.

Ajoutons que ces installations seraient très consommatrices d’électricité. Ainsi que cela a été écrit en janvier 2016 dans le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de la collectivité territoriale, le site Montagne d’Or piurrait à lui seul «nécessiter entre 20 et 40 MW de production électrique continue supplémentaire (soit entre 160 et 320 GWh), ce qui représenterait, dans ce dernier cas, près de 36% de la consommation actuelle de la Guyane». Comment serait produite cette électricité, quel serait l’impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre? Pour l’instant, la question reste en suspens.

Une décision très politique

Une seule chose est claire. Contrairement à ce que pouvaient encore dire les opposants au projet au début de 2017, celui-ci ne se prépare plus «en toute discrétion». Tous les éléments du dossier sont publics et le débat est engagé. Ensuite, il y aura l’instruction des dossiers de demandes d’autorisation et ouverture d’une enquête publique avant que le préfet ne prenne sa décision, décision très politique qui sera prise en fait au plus haut niveau de l’État français. Les considérations techniques ne seront pas seules en cause: après la crise sociale du printemps 2017 en Guyane, le rapport de forces sera étudié de très près.

Quelle que soit la décision, il serait très réducteur de la juger à l’aune d’un match Macron- Hulot, bien que les positions des deux hommes soient notoirement antagonistes. La question n’est pas de savoir qui l’emportera et qui devra avaler une couleuvre. Plus fondamentalement, elle est de savoir si on peut continuer à avancer sur le chemin de la croissance simplement en améliorant nos techniques d’exploitation des ressources naturelles, en faisant plus attention à l’environnement, en surveillant davantage les producteurs ou si les objectifs affichés en matière de limitation du réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité imposent, à certains moments, de renoncer à des activités créatrices de richesse. Et, dans ce dernier cas, il s’agirait de trouver des solutions alternatives permettant d’améliorer le sort de la population.

L’inscription des objectifs climatiques dans la constitution est peut-être une bonne idée, mais l’important est de savoir comment concrètement les choses pourraient changer sur le terrain. Pour l’instant, M. Macron semble vouloir donner la priorité à la croissance et faire confiance au progrès technique pour résoudre les problèmes. Il est possible que l’entrée dans un nouveau monde demande des remises en cause plus profondes.

 

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