Comme les nazis, l’Arabie saoudite se sert d’un « plan de la faim » au Yémen

by Reza
Saida Ahmad Baghili, une Yéménite de 18 ans photographiée en octobre, est victime de malnutrition (AFP).

SHAFAQNA – MEE / Belen Fernandez : Le mois dernier, l’Arabie saoudite a élargi son répertoire de pitreries en accordant la citoyenneté à un robot appelé Sophia, une initiative censée renforcer le vernis de modernité et de progrès que les autorités saoudiennes tentent de maintenir.

Dans une interview récente accordée au Khaleej Times, un journal émirati, Sophia a spéculé qu’« il serait peut-être possible de rendre [les robots] plus éthiques que les humains » et qu’il n’y avait que deux options pour l’avenir : « Soit la créativité abondera et des machines seront inventées pour évoluer vers la superintelligence transcendantale[,] soit la civilisation s’effondrera. »

Il est vrai que de nombreux occupants de la planète sont actuellement aux prises avec des problèmes beaucoup plus banals, comme par exemple survivre sous les bombardements et le blocus dirigés par l’Arabie saoudite dans le Yémen voisin. Les habitants de ce pays pourraient être pardonnés de supposer que la civilisation s’est déjà effondrée.

 

Une famine imminente

Oubliez l’abondance de créativité : à la place, les Saoudiens et leurs complices ont semé la destruction au Yémen, en plus de présider à une famine imminente. Les Émirats arabes unis, un territoire qui cherche à dissimuler sa nature brutale derrière un développement moderne de façade, des bâtiments tape-à-l’œil et des centres commerciaux avec piste de ski, contribuent grandement à l’effort de guerre.

D’autres contributions belliqueuses sont venues de plus loin. Le magazine The New Yorker note que « les forces armées saoudiennes, soutenues par plus de 40 milliards de dollars d’expéditions d’armes américaines autorisées par les administrations Trump et Obama, ont tué des milliers de civils au cours de frappes aériennes » au Yémen.

Naturellement, les États-Unis sont également responsables d’une sauvagerie bricolée à grande échelle, notamment des attaques de drones contre des festivités de mariage au Yémen.

Mais revenons à la famine – puisqu’après tout, rien ne dit que la modernité et le progrès sont compatibles avec une famine de masse.

Arrêtons-nous par exemple sur les réflexions de Végèce, un expert militaire romain du IVe siècle, qui était clairement très en avance sur son temps il y a environ dix-sept siècles : « Il est préférable de soumettre un ennemi par la famine, des assauts et la terreur que par la bataille, où la fortune tend à avoir plus d’influence que la bravoure. »

La propagation de la maladie infectieuse ralentit, mais cette dernière continue d’infecter environ 5 000 personnes par jour (AFP)

Le « plan de la faim » nazi

Lors de périodes de guerre plus récentes, la faim a également été brandie comme une arme. Dans un essai publié en juin 2017 dans la London Review of Books intitulé « Les nazis l’ont utilisée, nous l’utilisons », Alex de Waal considère le recours à la famine comme étant un « instrument efficace de meurtre de masse » durant la Seconde Guerre mondiale. Alors que la « famine forcée » était bien entendu « un des instruments de l’Holocauste », les nazis avaient également élaboré un « plan de la faim » pour certaines parties de l’Union soviétique, conformément aux desseins agricoles et territoriaux allemands.

(Fait intéressant, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane aime également évoquer des nazis de temps à autre – comme lorsqu’il a déclaré à Thomas Friedman, chroniqueur spécialiste des affaires étrangères pour le New York Times et société de relations publiques de l’Arabie saoudite à lui tout seul, que le dirigeant suprême iranien Ali Khamenei était « le nouvel Hitler du Moyen-Orient », et qu’il ne souhaitait pas « que le nouvel Hitler de l’Iran refasse au Moyen-Orient ce qui s’est passé en Europe ».)

Cependant, les nazis ne sont pas les seuls à avoir profité de la famine au XXe siècle. De Waal écrit qu’« environ 750 000 civils allemands sont morts de faim » à cause du blocus imposé par la Grande-Bretagne à l’Allemagne au cours de la Première Guerre mondiale et que « le nom attribué à l’opération de bombardement aérien de ports japonais lancée par l’armée de l’air américaine en 1945 était “opération Famine” ».

Pour l’Arabie saoudite et compagnie, la complicité des États-Unis dans des entreprises criminelles est à peu près assurée tant que les recettes pétrolières saoudiennes continueront de se traduire par de grosses sommes d’argent à destination de l’industrie américaine de l’armement

Quant aux exemples contemporains de privations des moyens de survie infligées aux populations civiles, les sanctions imposées par l’ONU à l’Irak au début des années 1990 nous viennent à l’esprit, tout comme la réponse apportée en 1996 par Madeleine Albright, alors ambassadrice américaine à l’ONU, aux estimations selon lesquelles un demi-million d’enfants irakiens avaient perdu la vie à cause de ces sanctions : « Nous pensons que le prix en vaut la peine. »

Tout le monde n’était pas d’accord, comme l’a montré un article paru dans le New York Times en décembre 1995 au sujet d’un rapport rédigé par deux scientifiques basés aux États-Unis pour le compte de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le rapport traitait de l’impact des sanctions, telles que l’augmentation drastique du nombre d’enfants irakiens « souffrant d’émaciation nécessitant une attention urgente ».

L’article du Times cite les auteurs du rapport : « La branche humanitaire des Nations unies fournit des palliatifs pour soulager les souffrances alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a l’intention de prolonger les sanctions. »

Le journalisme transformé en arme

Revenons à 2017 et aux mises en garde urgentes formulées par l’ONU face à l’imminence d’une famine catastrophique susceptible d’affecter plusieurs millions de personnes au Yémen : on ne peut s’empêcher de penser que Sophia a probablement raison au sujet de la possible supériorité éthique des robots.

Et alors même que le panorama semblait on ne peut plus sombre, la Coalition militaire islamique contre le terrorisme, une alliance de 40 pays dirigée par l’Arabie saoudite, a manifestement détecté une occasion en or à travers l’attentat meurtrier perpétré vendredi en Égypte contre une mosquée.

Reuters rapporte qu’au cours d’une réunion entre des responsables de la coalition, organisée à Riyad dans le but de « galvaniser » l’entité « antiterroriste », le prince héritier Mohammed ben Salmane a annoncé que l’attentat survenu en Égypte était « un événement très douloureux » et que « la plus grande menace du terrorisme et de l’extrémisme n’[était] pas seulement le massacre d’innocents et la propagation de la haine, mais également le coup porté à la réputation de notre religion et la déformation de nos croyances. »

Des arguments justes – mais peut-être seraient-ils plus efficaces s’ils sortaient de la bouche de quelqu’un qui ne terrorise pas le Yémen à l’heure actuelle.

Heureusement pour l’Arabie saoudite et compagnie, la complicité des États-Unis dans des entreprises criminelles est à peu près assurée tant que les recettes pétrolières saoudiennes – sans parler des contributions au chaos régional – continueront de se traduire par de grosses sommes d’argent à destination de l’industrie américaine de l’armement.

Dans le même temps, l’establishment politique américain est assisté par des médias obséquieux qui aiment à dépeindre les membres de la famille royale saoudienne comme des pionniers innovateurs et réformateurs.

Dans son compte rendu bien trop long portant sur son interview exclusive avec Mohammed ben Salmane, Friedman, évoqué plus haut, mentionne une seule fois le Yémen, qu’il considère comme un « cauchemar humanitaire » plutôt que l’œuvre d’êtres humains dont il étouffe les méfaits.

C’est ce même Friedman qui, bien évidemment, s’est livré un jour à la conclusion suivante : « Le problème avec l’Arabie saoudite n’est pas qu’elle est trop peu démocratique. C’est qu’elle l’est trop. »

Parmi ses autres exploits douteux, on peut relever la prescription d’une « nouvelle règle empirique » formulée après avoir mâché du qat dans la capitale yéménite en 2010 : « Pour chaque missile Predator que nous tirons ici contre une cible d’al-Qaïda, nous devrions aider le Yémen à construire 50 nouvelles écoles modernes. »

Malheureusement, le journalisme militarisé ne semble pas être passé de mode. Et tandis que le Yémen se prépare à une famine du XXIe siècle, la famine éthique sévit, elle aussi.

 

– Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de SHAFAQNA.

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