Arabe à l’école: retour sur une polémique qui ne date pas d’hier

by Pey Bahman Z

SHAFAQNA – Le Muslim Post | par Elise Saint-Jullian : « Il faut donner du prestige à ces langues et c’est particulièrement vrai de l’arabe qui est une très grande langue littéraire, et qui doit être apprise pas seulement par les personnes d’origine maghrébine ou de pays arabes. C’est toute cette stratégie qualitative vis-à-vis de la langue arabe que nous allons mener », a déclaré le 10 septembre dernier sur BFMTV Jean-Michel Blanquer, interrogé sur l’apprentissage de l’arabe à l’école. 

Très vite le ministre s’est retrouvé sous le feu des critiques, accusé comme d’autres avant lui de vouloir « arabiser » ou encore « islamiser » la France. A l’instar de Nicolas Dupont-Aignan sur France Inter : « Sous prétexte de lutter contre le fondamentalisme, on nous prépare le début d’une islamisation de la France, je trouve ça très malsain. (…) Je suis totalement hostile à l’arabisation de la France et à l’islamisation du pays. »

La langue arabe toujours stigmatisée et associée à la religion

Xavier Bertrand a également ajouté qu’il était contre « l’arabe obligatoire en primaire. »

Sur LCI, Jean-Michel Blanquer a répliqué et dénoncé un « emballement médiatique. » « Je n’ai jamais dit que l’arabe devait être obligatoire à l’école », a t-il tenu à préciser, tout comme avait déjà dû se justifier avant lui Najat Vallaud-Belkacem, quelques années plus tôt.

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L’arabe à l’école est en effet un vieux débat. En 2005, François Fillon avait lui aussi suggéré que les langues « des grandes civilisations (comme) l’arabe et le chinois » soient « proposées dans toutes les académies. » Puis en 2008, Xavier Darcos avait annoncé entre autres plus de classes bilangues, le développement de l’arabe dans l’enseignement professionnel… En 2011, Luc Chatel souhaitait la mise en place de nouvelles classes de langues orientales en arabe pour que celui-ci ne soit pas « cantonné (…) aux élèves issus de l’immigration. »

En 2016, Najat Vallaud-Belkacem avait voulu supprimer les ELCO (enseignements de langues et cultures d’origine, proposés en-dehors des heures scolaires), afin que l’apprentissage de l’arabe comme d’autres langues se fasse dans « un cadre plus banal. » Une proposition qui avait provoqué un tollé. 

Mais pourquoi autant de réticences envers l’apprentissage de l’arabe ? Comme le rappelle la politologue Fatima Ouassak, la langue arabe est à tort, « islamisée, associée au terrorisme. » Elle est devenue peu à peu « anxiogène », soupçonnée également de favoriser le communautarisme.

Un cours d’arabe, en 2005, dispensé par la Délégation catholique pour la coopération (DCC). AFP PHOTO FRANK PERRY / AFP PHOTO / FRANK PERRY

« Parler arabe, en public ou même dans son foyer, était considéré comme un refus d’intégration »

« Parler arabe, en public ou même dans son foyer, était considéré comme un refus d’intégration, une manifestation du communautarisme. Jamais personne ne m’a dit que l’arabe était une belle langue. Si j’ai entretenu un tel ressentiment à l’égard de l’arabe, c’est parce que ni à l’école, ni dans les médias, ni même à la maison, on m’a dit que le bilinguisme était un atout », écrit à ce propos la journaliste Nadia Daam dans un article pour Slate, regrettant de ne pas avoir appris cette langue dans sa jeunesse. 

Et elle n’est pas la seule dans ce cas. La langue arabe, bien que régulièrement mise en avant par les différents ministres de l’Education, n’a en effet toujours pas trouvé sa place à l’école. 

« De gouvernement en gouvernement, aucun n’a eu le courage de démocratiser cet enseignement pourtant très demandé par les parents d’élèves, les élèves eux-mêmes ainsi que les spécialistes de cette langue », interpelle l’Inalco dans un récent communiqué sur Facebook, qui précise avoir envoyé plusieurs lettres ouvertes à l’Etat pour que celui-ci ouvre plus de place au CAPES et à l’agrégation d’arabe.

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Ainsi, les possibilités d’apprendre l’arabe à l’école publique restent encore limitées. En effet, s’il est possible de choisir cette langue dès le CE1 comme le turc, le chinois ou le portugais, peu d’académies proposent cette option. 

Seuls 567 enfants du primaire ont appris l’arabe à l’école en 2017-2018

Selon des chiffres transmis par le ministère de l’Education nationale à l’AFP, seuls 567 enfants du primaire ont appris l’arabe à l’école pendant l’année scolaire 2017-2018. Dans le secondaire, ils étaient 11 200 sur plus de 5,5 millions d’élèves (soit 0,2 % des élèves).

Quant aux professeurs d’arabe, ils sont aussi très peu nombreux : 5 postes ont été ouverts en 2018 au concours du Capes et 3 à l’agrégation. Entre 2011 et 2015, il n’y a eu aucun nouveau professeur certifié.

Pourtant, l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France, notamment par les familles issues de l’immigration. Fatima Ouassak, présidente de l’association Front de Mères, milite notamment pour l’apprentissage des langues « maternelles théoriques » à l’école, comme l’arabe, le peul et autres. « Les enfants issus de l’immigration ont des troubles du langage souvent liés à leur langue maternelle qui a été stigmatisée », affirme-t-elle. 

Des classes bilangues arabe-anglais dès la 6e existent dans plusieurs académies et démontrent déjà les apports de l’enseignement laïque de cette langue aux élèves. 

« En apprenant l’arabe à l’école, ils découvrent quelque chose qu’ils n’auraient pas découvert autrement, une vision du monde arabe, loin des idées reçues. Ils apprennent que l’arabe appartient à la même famille que l’hébreu et l’araméen ; ils remarquent les emprunts de la langue arabe au persan, au turc, à l’espagnol, à l’anglais et au français. Ils découvrent que le monde arabe est peuplé de sunnites, de chiites, de chrétiens, de juifs, d’agnostiques et d’athées », témoignait en 2015 dans Libération Caroline Tahhan, professeure d’arabe à Goussainville (95). 

La langue arabe est également un atout sur le marché du travail. « Il s’agit d’ouvrir des perspectives aux élèves en lien avec le développement économique des pays arabes d’Afrique du Nord très liés à la France sur le plan des échanges commerciaux, mais aussi avec le Proche-Orient et les pays du Golfe. Ces pays émergents, voire riche pour certains, sont des marchés en pleine expansion qui rendront nécessaire la maîtrise de cette langue pour nos entreprises françaises, en compétition avec bien d’autres », souligne sur internet Nathalie Imbert, professeur d’arabe au collège Elsa Triolet de Vénissieux (69).

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L’arabe à l’école pour lutter contre l’islamisme ?

Cependant, l’arabe semble encore une fois cantonné à son aspect religieux. En effet, si la proposition de Jean-Michel Blanquer peut apparaître comme une bonne nouvelle pour de futurs arabisants, elle est surtout présentée comme une solution pour lutter contre l’islamisme. 

Un propos appuyé par le récent rapport sur le sujet présenté par Hakim El Karoui, dans lequel il indique que deux fois moins d’élèves apprenaient l’arabe dans les écoles qu’il y a vingt ans et dix fois plus dans les mosquées. 

« On peut se poser la question si leur volonté n’est pas d’extraire la langue arabe des mosquées pour les dépeupler. D’autre part, cela faire ressurgir un a priori tenace, celui que la radicalisation naît dans les mosquées », regrette Fatima Ouassak, qui appelle justement à ne pas se focaliser uniquement sur l’école et les lieux de culte. 

« Aujourd’hui des associations culturelles développent un apprentissage de la langue arabe en lien avec méthode Montessori, ainsi que d’autres outils innovants, rappelle-t-elle. Il faut les aider à se développer. » 

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