Après le traité de réconciliation : Du côté de Mu’âwiyeh: la déviation à visage découvert (partie 9)

by Pey Bahman Z

SHAFAQNA – Ce qui suit fait partie du livre L’IMAM AL-HASSAN et de son Traité de Réconciliation avec Mu’âwiyeh, Compilé et traduit en français par Abbas Ahmad al-Bostani, sélectionné par SHAFAQNA.

Lorsque Mu’âwiyeh entra à Kûfa après l’accord de réconciliation, il tint un discours à l’adresse des Kufites dans lequel il dit notamment:

«… Je ne vous ai pas combattus pour que vous priez, fassiez le jeûne ou accomplissiez le pèlerinage …. Je sais que vous le faites de vous-mêmes. Je vous ai combattus pour vous gouverner… malgré vous. Certes, j’ai fait des promesses à al-Hassan, mais je les foule de mes pieds. Je ne respecterai aucun de mes engagements».(1)

Ces mots en disent long sur l’insouciance que Mu’âwiyeh afficha publiquement dès son accession au «Califat», à l’égard de l’observance des préceptes de la Religion, et notamment sur son irrespect flagrant des commandements de Dieu. En effet, en se vantant de ne pas respecter ses engagements faits au petit-fils du Prophète, au Calife légal des Musulmans ainsi qu’à la Ummah tout entière, Mu’âwiyeh transgressait en connaissance de cause un commandement coranique qui ne souffre d’aucune ambiguïté et qui ne supporte aucune interprétation détournée:

«Tenez vos engagements, car les hommes seront interrogés sur leurs engagements…» (Sourate al-Asrâ’, 17: 34)

«Ô vous qui croyez! Respectez vos engagements». (Sourate al-Mâ’idah, 5: 1)

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Mais qu’importait pour Mu’âwiyeh ces commandements! Pour lui de telles considérations étaient des abstractions. Du concret! Il n’y avait qu’une chose à ses yeux: avoir et préserver le pouvoir. Il n’adorait qu’une chose! Obtenir le pouvoir, et il ne craignait qu’une chose! Le perdre.

Le pouvoir, il l’a finalement obtenu. Il fallait donc le conserver à tout prix. Aucun obstacle ne devrait désormais se dresser devant lui et devant ses ambitions, même pas l’affectation de respecter les apparences de la Chari’a pour ménager la susceptibilité des Compagnons de jadis.

Hier ceux-ci avaient un droit de regard théorique sur sa conduite, désormais, ils étaient complètement sous son emprise. Pourquoi respecterait-il donc ce qu’il n’avait jamais cessé de détester du fond du coeur, à savoir tout ce qui incarnait la Famille du Prophète. Effectivement, comme il l’a promis, il ne respectera aucun des engagements qu’il avait contractés dans son accord avec l’Imam al-Hassan.

Le premier engagement, ou la première clause du Traité stipulait qu’il était tenu de «Gouverner conformément au Livre de Dieu, à la Sunna du Prophète et à la conduite des Califes-Bien-Dirigés». Or on ne compte plus le nombre d’infractions commises par Mu’âwiyeh contre la Chari’a et ses sources.(2)

Contentons-nous d’en rappeler deux – parmi celles que souligne Abou A’lâ al-Mawdoudi, pourtant très modéré à l’égard de Mu’âwiyeh:

1- «Mu’âwiyeh a également transgressé le Livre de Dieu et la Sunna du Prophète, d’une façon flagrante en ce qui concerne la répartition des butins…»(3)

2- «De même, Mu’âwiyeh a transgressé, pour servir ses intérêts politiques, l’une des évidences de la Chari’a lorsqu’il a rattaché Ziyâd Ibn Somayyeh à sa généalogie (…) et l’a reconnu comme frère (…) alors qu’il était un enfant adultérin de son père. (…) Cet acte constitue une transgression flagrante de la Chari’a (…) puisque le Prophète (Ç) a dit en toutes lettres: «Le fils est issu du lit conjugal, alors que l’adultère ne donne aucun droit à la filiation…».(4)

La seconde clause stipulait que le Califat «devra revenir à l’Imam al-Hussayn, s’il arrivait quelque chose à al-Hassan…”. Or non seulement Mu’âwiyeh fera empoisonner l’Imam al-Hassan, mais il obligera les Musulmans, de son vivant, à prêter serment d’allégeance à son fils Yazid pour lui succéder, et ce, au mépris de la stipulation du Traité, et pis au mépris du prestige de l’Islam et de la Ummah qui fut ulcérée par la désignation de ce «calife» ivrogne et épicurien au sens le plus péjoratif du terme.

Ecoutons ce que dit le célèbre Suivant(5), al-Hassan al-Baçri à ce propos:

«Mu’âwiyeh avait quatre défauts dont chacun à lui seul constitue un péché mortel:

1- Le fait d’avoir combattu cette Ummah par l’épée jusqu’à ce qu’il soit devenu calife sans consultation, alors qu’il y avait encore des Compagnons et des hommes vertueux;

2- Le fait d’avoir désigné à sa succession son fils Yazid, un ivrogne, un alcoolique qui porte la soie et joue de la guitare;

3- Le fait d’avoir rattaché à sa famille, Ziyâd alors que le Messager de Dieu avait dit: «le fils est issu du lit conjugal, tandis que l’adultère ne donne aucun droit à la filiation».

4- Le fait d’avoir assassiné Hojr et ses compagnons (…)».(6)

La troisième clause stipulait que Mu’âwiyeh devrait s’abstenir d’injurier l’Imam ‘Alî surtout lors de la prière.

Or loin de s’abstenir de cette pratique détestable, Mu’âwiyeh l’a poussée à un degré insupportable pour un grand nombre de Musulmans qui craignaient beaucoup plus le Feu de Dieu que la foudre du fils d’Abou Sufiyân.

Comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, Mu’âwiyeh n’a pas hésité à faire assassiner ceux qui refusaient, par crainte de Dieu de maudire celui dont le Prophète avait dit:

«Celui dont je suis le maître, ‘Alî aussi est son maître. Mon Dieu soutiens donc celui qui le soutient et déclare l’hostilité à celui qui lui devient hostile».(7)

Il suffit de rappeler à cet égard ce qui est arrivé au Compagnon auguste, Hojr Ibn ‘Adi et à ses amis qui payèrent de leur vie pour rester fidèles à la morale islamique.(8)

Mu’âwiyeh a fait de cette pratique odieuse un pilier de l’Etat ou du royaume «islamique» qu’il dirigeait.

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Al-Madâ’inî écrit, à ce propos dans son livre, Al-Ahdâth:

«Mu’âwiyeh écrivit une lettre, après l’Année du Consensus, dans laquelle il se lavait les mains(9) de quiconque évoquait les vertus d’Abi Turâb (l’Imam ‘Alî) et de sa famille. Dès lors, les prédicateurs s’appliquèrent à maudire l’Imam ‘Alî et à s’en laver les mains dans chaque village et du haut de chaque chaire…».(10)

Selon Ibn al-Athir:

«Mu’âwiyeh convoqua al-Mughirah Ibn Chu’bah lorsqu’il décida de le nommer gouverneur de Kûfa, après la Réconciliation. Il lui dit: “… J’ai voulu te faire beaucoup de recommandations, mais je compte sur ta clairvoyance… Toutefois je n’omets pas de t’en faire une: ne cesse jamais d’injurier ‘Alî et de le dénigrer”».(11)

Selon Ibn Hojr al-Mâliki:

«Al-Hassan qui le savait qu’on maudissait son père avant la prière n’entrait à la mosquée que lorsqu’on prononçait l’iqâmah(12). Mais Marwân(13), mécontent, envoya quelqu’un à la maison d’al-Hassan pour proférer des injures à son adresse et à l’adresse de son père».(14)

Selon al-Mas’oudi:

«Lorsque Ziyâd succéda à al-Mughirah à la tête du gouvernement de Kûfa, il rassemblait les gens à la porte de son palais et les incitait à injurier ‘Alî. Il soumettait à l’épée quiconque refusait de s’exécuter».(15)

Cette pratique, Mu’âwiyeh l’a commencée avant même que l’encre du Traité ne soit séchée. En effet, c’est lorsqu’on eut terminé de prêter serment d’allégeance au «calife» usurpateur qu’il prononça un discours dans lequel il s’en prit à l’Imam ‘Alî et à l’Imam al-Hassan, en présence de ce dernier et de son frère al-Hussayn.

Celui-ci se leva alors pour lui répondre, mais l’Imam al-Hassan le fit s’asseoir et dit à l’adresse de son détracteur:

«Ô toi qui parle de ‘Alî! Je suis al-Hassan, mon père est ‘Alî, et tu es Mu’âwiyeh, ton père est Çakhr (Abou Sufiyân)! Ma mère est Fâtimah (al-Zahrâ’) et ta mère est Hind! Mon grand-père est le Messager de Dieu, le tien est Harb! Ma grand-mère est Khadijah, la tienne est Qotaylah! Que Dieu maudisse donc celui d’entre nous, dont le nom évoque le plus d’indolence, dont l’appartenance est la plus perfide, dont le mal est le plus enraciné, dont la mécréance et l’hypocrisie sont les plus anciennes.

«Des groupes présents dans la Mosquée dirent: Amen.»

«Yahya Ibn Mo’în dit: Nous aussi, nous disons: Amen.»

«Abou al-Faraj dit: Moi aussi, je dis: Amen.»(16)

Nous avons vu dans un précédent chapitre combien de péchés et d’accrocs à la morale et à la Charî’a islamiques comportait cet acharnement contre la mémoire de l’une des plus révérées des figures de l’Islam, et ce, selon l’avis même des penseurs musulmans comme Aboul A’lâ al-Mawdoudi qui n’a rien d’un partisan inconditionnel de l’Imam ‘Alî.

Pourquoi Mu’âwiyeh s’appliqua-t-il à introduire officiellement et avec une telle détermination, cette pratique qui déformait le visage de l’Islam, au nom duquel il gouvernait pourtant la Ummah?

«Sans cela nous ne pourrions pas préserver le pouvoir».(17) rétorquait Marwân Ibn al-Hakam.

C’est en partie vrai, car on l’a vu, Mu’âwiyeh voulait le pouvoir à tout prix, même au prix du sacrifice des principes islamiques les plus sacrés.

Mais le pouvoir, il l’avait désormais!

L’Imam ‘Alî n’était plus là pour le lui reprendre et l’Imam al-Hassan avait pris l’engagement de le lui laisser pour le restant de sa vie.

Pourquoi Mu’âwiyeh a-t-il donc pris le risque de s’en prendre à l’âme de celui qui fut «le plus proche du coeur du Prophète», selon l’expression d’al-Mawdoudi, et d’indisposer tous les Musulmans et notamment les plus pieux d’entre eux?

Malgré son arrogance Marwân n’a pas osé avouer, ce qui n’était pas encore avouable.

En dénigrant l’Imam ‘Alî, les ex-Tulaqâ’ voulaient atteindre indirectement le Prophète et défigurer cet islam qu’il avait apporté et qui avait eu raison de leur leadership et les avait réduits pendant longtemps au rang «d’amnistiés», de «cur à rallier». Les Omayyades avaient un esprit tribal et revanchard tenace.

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En s’emparant du pouvoir, ils ont pris leur revanche sur les Compagnons du Prophète. Mais leur revanche ne serait pas complète tant qu’ils n’auraient pas repeint aux couleurs jahlites cet Etat islamique que le Prophète avait édifié aux dépens de leur ancienne gloire et tant qu’ils n’auraient pas effacé la brillance qu’il avait donnée à son édifice.

Pour assouvir sa soif de vengeance, Mu’âwiyeh ne pouvait pas s’en prendre directement à l’oeuvre et à la personne du Prophète, bien qu’en privé, il ne retînt pas toujours sa rancur enfouie.

On se rappelle à cet égard avec quelle amertume il se plaignait que les Musulmans évoquent cinq fois par jour (dans les cinq prières quotidiennes) le nom de ce que, lui, appelait, «le frère de Hâchim» (le Prophète ) alors qu’on n’y disait pas un mot sur son cousin ‘Othman!(18)

Par contre, lorsqu’il s’attaquait à l’Imam ‘Alî, il n’était pas difficile de saisir ce qu’il pensait du Prophète.

Ecoutons à cet égard l’échange de propos suivant, entre Mu’âwiyeh et ‘Abdullah Ibn ‘Abbas, le cousin du Prophète et de l’Imam ‘Alî:

Mu’âwiyeh: (…) Nous avons décrété publiquement l’interdiction d’évoquer les vertus de ‘Alî et de sa famille. Retiens donc ta langue, ô Ibn ‘Abbas!

Ibn ‘Abbas: Quoi! Oses-tu nous interdire la lecture du Coran?

Mu’âwiyeh: Non.

Ibn ‘Abbas: Nous interdis-tu donc de l’interpréter?

Mu’âwiyeh: Oui.

Ibn ‘Abbas: Donc, tu veux que nous le lisions sans nous demander ce que Dieu veut dire (par Sa Parole).

Mu’âwiyeh: Oui.

Ibn ‘Abbas: Qu’est-ce qui est plus obligatoire pour nous: sa lecture ou son application?

Mu’âwiyeh: Evidemment son application…

Ibn ‘Abbas: Comment l’appliquer sans comprendre ce que Dieu veut dire par Sa Parole?

Mu’âwiyeh: Demande-le (l’interprétation) à celui qui l’interprète d’une façon différente de ton interprétation et de celle de ta famille (la Famille du Prophète).

Ibn ‘Abbas: Mais le Coran est descendu sur ma famille, et tu veux que je demande à Âle Abou Sufiyân(19) et Âle Abi Mu’it(20) de me l’interpréter!?

Mu’âwiyeh: Contentez-vous alors de lire le Coran sans regarder ce que Dieu y a dit à votre propos (à propos de la Famille du Prophète ) ni ce que le Messager de Dieu a cité. Ceci mis à part, vous pouvez regarder le reste.

Ibn ‘Abbas: Dieu a dit: «Ils voudraient, avec leurs bouches, éteindre la lumière de Dieu, alors que Dieu ne veut que parachever sa lumière, en dépit des incrédules.» (Sourate al-Tawbah, 9: 32). (21)

Ainsi à défaut de pouvoir interdire la lecture du Coran, Mu’âwiyeh n’hésita pas à interdire d’y faire tout ce qui pourrait condamner ses agissements contraires à la Chari’a, sans oublier de décréter au passage, la censure sur les interprétations que le Prophète y avait faites. Or qui pourrait se permettre d’expliquer la Parole de Dieu mieux que celui à qui Elle avait été révélée!?

Mu’âwiyeh et les Tulaqâ’ déversèrent toute leur haine sur l’Imam ‘Alî et sur sa mémoire, parce que son nom et son action étaient liés non seulement à ceux du Prophète, mais aussi à l’édification de l’Etat islamique et aux souvenirs amers qu’elle évoquait chez eux. Si ces souvenirs du passé ne cessaient de susciter chez Mu’âwiyeh et ses acolytes l’esprit de revanche et de vengeance, cet esprit de revanche a trouvé dans l’Imam ‘Alî la cible idéale, faute de pouvoir s’exprimer directement contre le Prophète et l’Etat islamique qu’il avait fondé.

Abbas Mahmoud al-‘Aqqâd écrit à ce sujet:

«…Dans les guerres contre les polythéistes, l’Imam ‘Alî avait tué, parmi les grandes figures des Omayyodes: ‘Otbah Ibn Rabi’ah, le grand-père de Mu’awiyeh, al-Walid Ibn ‘Otbah, son oncle, Handhalah, son frère. Tous étaient au nombre de ceux qu’il avait tués dans la Bataille de Badr. Et ce, sans parler d’autres qu’il avait tués au cours d’autres batailles. Les proches de ces tués ont gardé des rancunes contre lui, après leur entrée en islam. Cette rancune fut aiguisée par le fait qu’ils ne pouvaient pas venger leurs morts mécréants».(22)

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La Chari’a islamique qui interdisait qu’on réclamât vengeance pour des tués polythéistes avait maintenu en sourdine cette rancune jahilite. Mais une fois cette Chari’a devenue un jouet que les Omayyades maniaient au gré de leurs sentiments, rien ne pouvait plus les empêcher d’enlever la sourdine et de laisser leur rancune jaillir avec autant d’ intensité. La mémoire de l’Imam ‘Alî était la cible idéale de la rancoeur des Omayyades non seulement parce que ce dernier avait été l’épée du Prophète dans toutes les batailles contre les polythéistes mais aussi parce qu’il symbolisait et incarnait l’attachement aux valeurs de l’Etat islamique tel qu’il avait été fondé par le Prophète.

N’était-ce pas lui qui avait donné un coup d’arrêt au processus de déviation que les Tulaqâ’ avaient amorcé sous le Califat de ‘Othman!

N’était-ce pas lui qui avait remis en mémoire et en évidence la ligne du Prophète pendant les quatre ans de son Califat, par une application scrupuleuse des lois de la Chari’a que les Tulaqâ’ s’étaient évertués à détourner pendant les douze années qui avaient précédé son gouvernement?(23)

En traçant un prolongement à la ligne du Prophète et en formant autour d’elle un noyau de Musulmans pieux attachés aux Traditions du Prophète et préparés spirituellement pour les sauvegarder et les défendre, l’Imam ‘Alî a fourni aux Omayyades une raison supplémentaire de le considérer comme le premier obstacle devant leur volonté irréductible de transformer définitivement l’Etat islamique en un royaume fondamentalement omayyade.

C’est pourquoi Mu’âwiyeh institua l’obligation de salir sa mémoire, de vouer aux gémonies son action, de «se laver les mains» de tout ce qu’il incarnait et représentait, et surtout d’extirper ou effacer ce noyau pur et dur qu’il avait constitué pour sauvegarder et défendre la ligne du Prophète.

Ce dernier point nous ramène à sa promesse haineuse de ne respecter aucun des engagements qu’il avait contractés vis-à-vis de l’Imam al-Hassan.

En effet, la 5e clause du «Traité de Réconciliation» stipulait que Mu’âwiyeh devrait s’abstenir de menacer la vie des Musulmans en général et des Partisans de l’Imam ‘Alî en particulier. Or dès son accession au Califat, Mu’âwiyeh déclencha une répression sanglante contre les adeptes de l’Imam ‘Alî: assassinats, pendaisons, amputations des mains et des pieds, déportations…(24)

Il écrivit aux juges et aux gouverneurs leur ordonnant de refuser le témoignage de tout adepte de l’Imam ‘Alî et de tout Musulman évoquant ses vertus. Puis il envoya la circulaire suivante à ses fonctionnaires: «Vérifiez s’il est prouvé que quelqu’un aime ‘Alî et sa famille; si oui, faites-le disparaître du divan», suivie bientôt d’une autre: «Si vous pensez que quelqu’un est partisan de l’Imam ‘Alî, même sans pouvoir le prouver, tuez-le».(25)

Ainsi beaucoup de gens furent assassinés sur de simples soupçons ou présomptions de respect pour celui dont la vie, le nom et l’action s’étaient identifiés au Message du Prophète et à la fondation de l’Etat islamique.

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Et comme nous l’avons vu, dans sa foulée meurtrière, il n’a pas hésité à assassiner des Compagnons vénérables unanimement appréciés par les Musulmans, tels que Hojr Ibn ‘Adî, ‘Amr al-Khazâ’i… etc. sans oublier de mutiler et de profaner leurs cadavres pour en faire des exemples et terroriser la Ummah. Il s’en est suivi que tout le peuple fut pris de peur et que «la Ummah dans son ensemble est devenue lâche», commente Abou A’lâ al-Mawdoudi.(26)

Alternant répression et corruption, il a réussi à implanter partout des inventeurs, des falsificateurs et des déformateurs de Hadith dans le but de vider l’Islam de son essence et d’ ôter à l’Expérience islamique sa noblesse. Non content de dévier l’Etat islamique de sa ligne initiale, Mu’âwiyeh y a posé la fondation d’une politique systématique de corruption de la Ummah elle-même.

«Cette politique (de répression), ajoute al- Mawdoudi,» a fait perdre peu à peu aux Musulmans leur courage et les a rendus serviteurs de l’avantage et esclaves de l’intérêt. Le nombre de ceux qui osaient dire la vérité a diminué alors que la flagornerie, l’affectation, l’hypocrisie, la vente de conscience, la malhonnêteté ont prédominé dans la société. L’attachement au Vrai n’était plus une valeur (…). Les hommes compétents, les croyants pieux et les honnêtes gens s’abstenaient de servir dans le secteur gouvernemental. Le peuple n’avait plus aucune affection pour le gouvernement. Des gouvernements s’installaient, disparaissaient et se succédaient, et le peuple se contentait de voir et laisser faire».(27)

Si Mu’âwiyeh ne pouvait que dissimuler le mépris des ex-Tulaqâ’ pour l’uvre du Prophète, et leur volonté inavouée d’effacer ses traces à travers leur dénigrement de sa Famille et de ses fidèles Compagnons, il a tout fait par contre pour fonder un règne héréditaire dans lequel ses descendants n’auront aucun scrupule de passer d’une étape à l’autre dans la destruction des valeurs islamiques et de s’attaquer directement aux autres symboles sacrés du Messager de Dieu et de sa Religion.

C’est bien Yazid, fils de Mu’âwiyeh qui ordonnera que l’on mette la ville du Prophète Médine, ainsi que ses habitants à feu et à sang, passant outre les avertissements du Messager de Dieu, lequel avait prévenu – selon al-Bukhâri, Musulim, Musnad Ahmad, al-Nissâ’i etc.

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«Quiconque voudra du mal à la ville de Médine, Dieu le fera fondre dans le Feu comme du plomb»

et

«Quiconque fera peur injustement aux habitants de Médine, Dieu le terrifiera, la damnation de Dieu, des Anges et de tout le monde tombera sur lui…».(28)

Et c’est pour cette raison que l’imam Ahmad Ibn Hanbal et bien d’autres uléma ont autorisé que l’on maudisse Yazid Ibn Mu’âwiyeh. C’est encore Yazid qui donnera l’ordre par la suite à son armée d’attaquer la Mecque, attaque pendant laquelle les soldats omayyades n’hésitèrent pas à lancer des pierres sur la sainte Ka’ba jusqu’à ce qu’un de ses murs se soit effondré, et à y mettre le feu.(29)

Ce fut par la suite le tour d’un autre descendant de Mu’âwiyeh de donner l’ordre au tristement célèbre bourreau des Musulmans al-Hajjâj, d’attaquer la sainte Ka’bah et de la bombarder de pierres pendant la saison du pèlerinage «saison pendant laquelle même les mécréants et les polythéistes de l’époque jahilite – antéislam – y interrompaient les combats et s’abstenaient de faire la guerre.(30)

C’est à propos de ce même al-Hajjaj, cette fierté et ce pilier du règne omayyade que «le célèbre imam des lectures (du Coran), ‘Âçim Ibn Abi al-Nujûd a dit:

«Il n’y a pas un seul péché contre Dieu – Le Très-Haut – qu’al-Hajjâj ait manqué de commettre»,(31) et que ‘Omar Ibn ‘Abdul ‘Aziz a déclaré:

«Si les nations faisaient une compétition de perfidie et que chacune d’elles y présentait son «perfide», nous les battrions avec al-Hajjâj».(32)

Pour conclure ce chapitre sur le règne omayyade que Mu’âwiyeh s’appliqua à bâtir avec tant d’acharnement sur les cadavres de la famille du Prophète et de ses partisans, écoutons enfin ce qu’a dit à propos des Omayyades le pieux Suivant al-Hassan al-Baçri, cité par Abou A’lâ al-Mawdoudi:

«… Que Dieu les rende encore plus détestables et qu’IL jette sur eux un mal aigu. N’est-ce pas eux qui ont autorisé ce que le Messager de Dieu avait interdit? Ils ont tué les siens trois fois (…). Ils n’ont jamais cessé de transgresser ce qui est sacré. Ils sont allés à la «Maison Interdite de Dieu» pour détruire la Ka’ba, et mettre le feu à ses pierres et ses rideaux. Que l’anathème de Dieu soit sur eux, et qu’IL les fasse habiter dans la mauvaise demeure».(33)

 

à suivre …

 

Notes :

1. Ibn Abî Hadîd et d’autres. Cité par M. J. Fadhlallah, op.cit., p. 134.

2. Voir les infractions à la Chari’a commises par Mu’âwiyeh et soulignées par al-Mawdoudi dans le livre de ce dernier: Al-Khilâfah wal-Mulk, op. cit., pp. 112 – 114.

3. Pour plus de détails, voir al-Mawdoudi.op. cit.. p. 113.

4. Al-Mawdoudi, op. cit., pp. 113 – 114.

5. Un compagnon des Compagnons du Prophète.

6. Cité par al-Madoudi. op. cit., p. 106.

7. Extrait de Hadith al-Ghadir rapporté par des dizaines de Compagnons, de Suivants et de Mémorisateurs.

8. Voir: Chapitres précédents et, A. A’lâ al-Mawdoudi, Al-Khilâfah wal-Mulk, op. cit., pp. 104 – 105

9. Ici, se laver la main d’une personne, signifie que cette personne ne bénéficie plus de la protection de la loi et qu’on peut la tuer, la piller… impunément.

10. Ibn Abi al-Hadid, tom. III, p. 15, cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 152.

11. Ibn Abi al-Athir, tom. III, p. 187, cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 153.

12. C’est-à-dire au moment où la prière est sur le point d’être commencée.

13. Gouverneur de Médine et l’une des figures de proue des Tulaqâ’.

14. Ibn Abi al-Hadid, Charh al-Nahj, Tom. XVI, p. 46, cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 153.

15. Cité dans la marge d’Ibn al-Athir, Tom VI, p. 99, cité par Cheikh Râdi Âl Yassîne, op. cit., p. 316.

16. Cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 154.

17. Ibn Abi Hadid. tom. III, p. 115. cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 153.

18. Voir le récit de Matraf Ibn Mughirah Ibn Ch’abah.

19. Les Clans auxquels appartenait Mu’awiyeh.

20. Voir note précédant.

21. M. J. Fadhlallah. op. cit., pp. 156 – 157

22. Al-‘Abqariyyât Islâmiyyeh, tom. II, M. al-‘Aqqâd, op. cit., p. 110.

23. Voir Abou A’lâ al-Mawdoudi, Al-Khilâfah wal-Mulk, op. cit., pp. 63 – 71.

24. Ibn al-Athir, Tom. III, p. 163, cité par M. J. Fadhlallah, op. cit., p. 156.

25. id. ibid.

26. A-Khilafah wal-Mulk, op. cit. p.105

27. Al-Khilâfah wal-Mulk, op. cit., p. 107, citant Tabaqât Ibn Sa’ad, tom. V, p. 212.

28. Cité par Abou A’lâ al-Mawdoudi, op.cit., p. 120. Selon l’imam al-Azhari, cité par al-Mawdoudi, les soldats de Yazid ont tué pendant l’invasion de Médine mille Médinois et selon Ibn Kathir, cité aussi par al-Mawdoudi: mille femmes sont tombées enceintes à la suite de cette invasion.

29. Voir: Abou A’lâ al-Mawdoudi, Al-Khilâfah wal-Mulk, op. cit., p. 121.

30. id. ibid.

31. id. ibid.

32. id. ibid.

33. Al-Mawdoudi, op. cit., p. 121, citant Ibn al-Athir, tom. IV, p. 170.

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