Les formes de liberté dans la pensée musulmane

by Za As
osman-hamdi - liberté dans la pensée musulmane - liberty in Islam

SHAFAQNA – Encyclopédie Islamique Tahoor : En islam, on entend par liberté la liberté intérieure ; or sans réalisation de la liberté extérieure, il n’est pas possible d’accéder à la liberté intérieure. L’islam reconnaît purement et simplement la liberté de penser et nie la liberté de croyance. La reconnaissance de la liberté de pensée et de la liberté d’expression s’appuie sur ce point qu’il faut faire la différence entre la religion, la pensée religieuse, et ce que l’on appelle les « vérités ultimes du monde de l’existence » ; il faut distinguer cela et avoir foi en ceci qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une idée particulière à propos de Dieu. De même, le fait d’exprimer une opinion en matière de politique et de pouvoir est absolument libre, dès lors que l’islam n’a exposé aucune forme précise d’organisation du pouvoir. Du point de vue historique, au sein des sociétés musulmanes, la liberté revêt plutôt une signification juridique et se trouve employée en face du terme « esclave ». Dans la pensée politique musulmane traditionnelle, la justice s’oppose au despotisme, et l’esclavage s’oppose à la liberté. D’autre part, dans la pensée musulmane, la liberté comporte plutôt un aspect intérieur, dans le sens d’une libération vis-à-vis de la servitude de l’âme. Il en va de même actuellement, dès lors que la plupart des penseurs emploient le terme de liberté religieuse, alors qu’en réalité il s’agit bien de liberté intérieure.

Ainsi, dans ce domaine, deux points peuvent être évoqués : le premier est le fait qu’en général, lorsque l’on parle de liberté, il s’agit de liberté extérieure et politique, et non de liberté intérieure. Le deuxième s’occupe de la relation qu’entretiennent liberté intérieure et liberté extérieure. L’islam est en quête d’une situation dans laquelle la plupart des gens puissent jouir de liberté intérieure. C’est pourquoi, lorsque la communauté jouit de liberté du point de vue politique et extérieur, et où les gens éprouvent de la satisfaction et du respect, le terrain est davantage favorable à l’édification d’une telle société. Ainsi, il apparaît que sans la réalisation de la liberté extérieure, il n’est pas possible d’accéder à la liberté intérieure. En vérité, dans la société musulmane, le but ultime consiste en la « liberté intérieure », avec pour signification le développement graduel de l’individu et de la société ; cependant, la liberté extérieure fournit également une base nécessaire à l’épanouissement spirituel de la société. Au regard de la nouvelle perception, la liberté politique constitue une signification nouvelle qui est nécessaire en soi, foncièrement. De ce point de vue, et dans son acception actuelle, la liberté concerne la politique, elle-même engagée dans un processus de planification de la société. C’est pourquoi ce débat n’est en principe pas abordé, à savoir le fait qu’au regard de l’islam, la liberté est bien cette liberté intérieure.

 

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Certains rendent le terme de liberté équivalent à ceux de débauche, de libertinage et de désordre, et lorsque le débat se porte sur la liberté, ils pensent plus qu’à toute autre chose à la liberté sexuelle et à l’insouciance. Cette manière de penser découle probablement de la conjoncture sociale des sociétés occidentales. Ces gens, pensant que la liberté équivaut à un cadeau rapporté d’Occident, s’imaginent que la liberté et l’insouciance sont une seule et même chose. Alors que si nous passons sur certaines interprétations superficielles, ce que désigne la liberté, c’est la liberté politique et intellectuelle dans toutes ses dimensions, en ce sens que les plus grands annonciateurs de liberté furent les prophètes, à leurs époques respectives. Il est possible qu’une société se trouve plongée dans la corruption et l’insouciance, tout en étant dépourvue de liberté. A l’inverse, il est possible qu’une société libre soit relativement saine et attachée aux stipulations de la morale. Aussi, il est naturel que dans la pensée musulmane, la liberté politique s’accompagne d’un attachement aux stipulations de la morale concernée. L’autre débat important au sujet de la liberté consiste à se demander si la liberté est absolue ou limitée. Même parmi les penseurs occidentaux, il n’existe pas de croyance en une liberté absolue. La liberté absolue est fondamentalement contraire au bon sens élémentaire ainsi qu’à la logique humaine. La liberté absolue présente une divergence avec la philosophie nécessaire de la vie en collectivité. La vie sociale et civile réclame l’existence de certaines limites.

Les formes de liberté dans la pensée musulmane

La liberté de croyance

Il est possible d’analyser la liberté de croyance à deux égards : le premier s’occupe de la croyance en tant que foi, en ceci qu’elle se trouve opposée à l’incroyance. Le second s’occupe de la liberté de croyance en ce sens qu’il existe différentes croyances et façons de voir au sein de la religion. De la même manière, c’est sur ce point que se fonde la différence entre liberté de croyance et liberté de penser : la liberté de croyance comporte davantage une signification religieuse, engageant la foi, tandis que la liberté intellectuelle renferme les différents aspects de la vie – qu’il s’agisse de croyance, de politique ou de société. Le Professeur Motaharî, différenciant la liberté de croyance de la liberté de penser, insistant sur la liberté de penser, réfute l’existence de la liberté de croyance en islam. Bien entendu, il pense qu’en aucun cas il ne faille employer la pression et la contrainte afin d’imposer la croyance. Le sens de « nulle contrainte en religion » est en ceci, et non dans le fait de rendre licite l’obligation envers toute croyance désirée. Le dessein des versets semblables au verset ci-dessus ne consiste pas à approuver les autres croyances, alors qu’elles se trouvent modifiées dès lors que l’on emploie une juste méthode pour les évaluer ; il s’agit du fait que l’on ne peut déployer la religion de Dieu en usant de la contrainte et de l’obligation. Du point de vue historique également, l’islam a donné un caractère officiel aux autres croyances et n’a jamais prétendu imposer une croyance par la force à leurs partisans. Par conséquent, considérant les versets, les hadiths, les biographies des Imâms et la pensée des mystiques musulmans, jamais une croyance n’a été imposée en islam, à tel point que selon les pensées authentiquement mystiques, le christianisme, le judaïsme et l’islam comptent chacun leurs manières d’adorer l’unique Adoré et la différence entre croyant* , zoroastrien et juif provient de leur différence de points de vue. L’autre motif de l’absence d’imposition et de contrainte en matière de croyance, qui par ailleurs permet de supporter l’idée de l’existence d’autres croyances – en dehors de la juste communication destinée à corriger les croyances erronées – est la croyance de l’islam en sa propre logique interne. L’islam, en raison de sa puissante logique, se trouve constamment en mesure de répondre à la totalité des doutes et des incertitudes.

La liberté de penser

Le Noble Prophète (s) dit : « L’une des choses pour lesquelles ma communauté ne sera jamais châtiée, c’est le fait que l’être humain réfléchisse à propos de la création, de Dieu et du monde, et voie le doute apparaître dans son cœur. » La place éminente qu’occupe la pensée en islam témoigne de la valeur et de l’importance que l’islam lui a donnée, ainsi qu’à la liberté qui en découle. La place éminente de la pensée et de la réflexion en islam ne fait aucun doute ; cependant, il subsiste cette question : l’islam admet-il la liberté de penser et de réfléchir sans aucune forme de limitation ? La pensée comporte des domaines différents et les êtres humains peuvent réfléchir à propos de questions variées, telles la politique, la philosophie post-naturaliste, la culture, ainsi que toutes autres choses. Il est nécessaire de rappeler ce point que si nous pensons que le fait de penser est une chose intérieure, intime, qui se fait en conscience, il n’est pas possible de lui fixer une limite ; c’est-à-dire que la pensée de l’être humain est en soi sans limite. De ce fait, lorsque l’on parle de liberté de penser, elle est associée à la liberté d’expression, et il n’est pas question de séparer ces deux, y compris dans le monde de l’esprit. Ainsi, la liberté de penser a le sens de liberté de réfléchir et d’absence de toute forme d’obstacle extérieur à son expression et à son évocation. En islam, quelle place occupe cette signification de la réflexion ? D’une manière générale, il est possible de dire qu’il faut que chacun ait une image absolue et unique de Dieu, de l’être humain, de la politique, du pouvoir, etc., et il ne saurait être question de rendre licite la liberté de penser à ce propos. L’islam peut au maximum autoriser la réflexion à propos de cette image unique et singulière ; mais il ne permet en aucun cas la réflexion à propos du fait de remplacer cette image unique.

 

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On peut étudier la liberté de penser en islam autour de sujets comme la foi en Dieu, la politique et le pouvoir, à travers l’histoire des sociétés musulmanes. Au sein des musulmans, et au sujet de la foi en Dieu, nous constatons des points de vue philosophiques, mystiques et juridiques insistant chacun sur un aspect de la foi. Ils s’efforcent tous de découvrir la vérité de la foi sur la base des paroles divines. La méthode commune à toutes ces démarches, c’est la liberté de penser et l’absence de croyance en une idée particulière de Dieu. Par conséquent, la marche historique des musulmans vers ces différents systèmes de foi en Dieu a fait se réaliser ceci qu’il ne saurait y avoir de réflexion sans liberté de penser. Si l’on ne peut priver l’être humain de liberté de réfléchir à propos de la foi en Dieu, cette question s’impose à fortiori dès lors qu’il s’agit de pouvoir et de politique. Ici, la question de notre vision du pouvoir est très importante comme est très important le point de vue de l’islam dans ce domaine. Si nous croyons que l’islam juge licite une forme particulière de pouvoir, niant les autres formes, nous ne pouvons pas croire en la liberté de l’être humain regardant le domaine de la politique et du pouvoir. Or si nous croyons que dans le Livre et la Sunna ne se trouve aucune forme particulière de gouvernement et de système politique, et que l’édification du gouvernement et de sa forme ont été confiés à la sagesse de l’être humain, la liberté de penser compte alors pour une part inséparable de ce point de vue ; car pour que cette réflexion connaisse un progrès constant, le fait de réfléchir à propos du pouvoir n’est pas seulement licite, mais absolument obligatoire.

Certains intellectuels, s’appuyant sur des paradigmes récents, croient que dans le Livre et la Sunna, aucune forme particulière de gouvernement n’a été recommandée. La question fondamentale regardant le pouvoir et son critère central selon le Coran est la justice et non le vote, la nomination, l’assemblée ou autre. De ce fait, certains penseurs musulmans nient l’existence d’une idéologie politique dans le Livre et la Sunna, et ne trouvent pas que cela s’accorde avec la position et les devoirs de ces sources. Ils croient que ces sources contiennent des enseignements politiques, mais pas d’idéologie politique. Quoi qu’il en soit, la continuité de la foi réelle au sein d’une société n’est possible que dans le cas où la foi ne perd pas son identité de choix conscient. La pérennité d’un système politique et son dynamisme ne peuvent résulter que de l’appui sur la liberté de penser à propos de la politique et du pouvoir. Tous ces cas, avant toute chose, nécessitent la croyance en la sagesse humaine et en la volonté de l’être humain d’édifier des structures politiques idéales.

La liberté d’expression

La liberté de penser n’a pas de sens sans liberté d’expression. La liberté de réfléchir ne peut être pensée qu’accompagnée de la possibilité de la présenter dans le cadre de la société et de l’exposer aux gens comme aux intellectuels. On ne peut prétendre véritablement à l’existence de la liberté de penser dans la société que lorsque les idées différentes et opposées se trouvent exposées, analysées et discutées, librement et sans intervention de l’Etat. La liberté d’expression, comme la liberté de penser, concerne un large domaine, des gens différents ayant le loisir, considérant les limites légales, d’exprimer leur avis en société et de le diffuser. Son Excellence ‘Alî (as) dit à ce sujet : « Confrontez vos opinion les uns aux autres afin qu’en résulte l’opinion juste. » Il est évident que la confrontation des idées n’est possible que dans un cadre de liberté.

L’islam, du point de vue dogmatique, accorde beaucoup de valeur à la liberté d’expression, à son effet sur le progrès des conditions sociales, sur la formation intellectuelle des êtres humains et sur la croissance de leur capacité à choisir. Le Coran recommande aux êtres humains de prêter l’oreille aux différents discours et de choisir les meilleurs d’entre eux. Sur la base de ce verset, les êtres humains possèdent ce niveau de perfection intellectuelle leur permettant de distinguer le bon discours parmi ceux qui leur parviennent, et n’ont pas besoin d’un obstacle extérieur qui aurait pour fonction de s’interposer contre la déviation intellectuelle commune. Le verset cité donne aux êtres humains le droit de choisir, de sorte à préférer les meilleures pensées, en prêtant l’oreille aux idées des intellectuels. Sur ce fondement, aucun critère extérieur n’est en mesure de constituer la source du jugement à propos d’une pensée. La pensée constitue elle-même le seul critère de jugement. Le Noble Prophète (s) a été envoyé afin de parfaire et d’achever les bonne mœurs, or concernant les questions politiques et sociales – qui étaient plus dynamiques et davantage enchevêtrées – il n’a pas énoncé de règle permanente. Le fait politique, le gouvernement, dépendent de l’interprétation et de la conception des intelligences des gens du moment, et si les intelligences des gens du moment ne sont pas libres et se trouvent privées de la liberté d’expression, on aura en réalité agi à l’encontre des enseignements islamiques. Si l’on met de côté le débat ci-dessus, la façon de faire des Imâms impeccables (as) est également très éclairante regardant ce domaine : ils ne privaient pas les matérialistes de la liberté d’expression. Du point de vue politique, on peut se référer à la méthode employée par Son Excellence ‘Alî (as) lors de sa confrontation aux Kharijites : il ne s’est jamais opposé à eux en raison de leurs croyances, ils pouvaient librement les exposer dans les mosquées et parmi les musulmans.

Deux points importants sont débattus à propos de la liberté d’expression :

Quelle est la limite de la liberté d’expression dans la société religieuse ? Certains répondent à cette question en insistant sur les lignes rouges à ne pas franchir en matière de liberté, mais ne donnent pas de critère défini en cela. Bien entendu, dans ce domaine, les valeurs islamiques comptent généralement pour des lignes rouges, bien que ces valeurs soient en même temps ambigües et interprétables et se révélant incapables de définir les limites de la liberté d’expression. D’autres, se basant sur les paradigmes récents, croient qu’il n’existe aucune ligne rouge au sein de la communauté des croyants. Considérant les opinions ci-dessus, il est possible de déterminer des critères plus objectifs et davantage interprétables au sujet des limites de la liberté d’expression, que l’on nommera les « limites légales » de la liberté d’expression. L’importance de la liberté d’expression réside en ceci qu’elle s’oppose aux vérités toutes faites que l’on met en circulation ainsi qu’à la propagande qu’une pensée unique fait se répandre dans la société. La liberté d’expression questionne continuellement la société, elle l’expose au choix, ce qui s’accorde à la volonté de liberté de l’être humain.

L’autre point consiste à se demander s’il est possible de critiquer la pensée religieuse ? Autrement dit, la liberté d’expression consiste-t-elle également à critiquer la pensée religieuse ? La réponse à cette question dépend de la réponse à ces deux interrogations : la pensée religieuse est-elle semblable à la religion, en ceci que nous la considérions sainte ? Le droit d’exprimer son avis à propos de la pensée religieuse est-il réservé à un groupe particulier ?

Si notre réponse à ces deux questions est positive, d’une part il ne sera pas possible de critiquer la pensée religieuse et d’autre part, tout le monde ne pourra pas donner son avis sur le fait que le système politique s’accorde ou pas aux principes religieux fondamentaux. Or selon les paradigmes récents, il est possible de critiquer la pensée religieuse et la religiosité dès lors que l’on prend certaines précautions. La religion et la pensée religieuse diffèrent de ce que recouvre l’expression « vérités ultimes du monde de l’existence ». En sus, la critique intérieure doit être distinguée de la critique extérieure. La critique de la pensée religieuse est parfois exprimée, et parfois elle ne l’est pas. La critique ouverte de la pensée religieuse n’est pas une pratique de croyant, mais celle qui se déroule à l’intérieur de soi fait partie intégrante de la foi. Si ceux qui critiquent ouvertement visent le plus souvent à atteindre les racines de la pensée religieuse afin d’en extirper toutes les contraintes, le dessein de la critique intérieure est de croire et de fonder la pensée religieuse. Toute forme de critique de la pensée religieuse en islam doit se réaliser dans l’axe de l’affirmation de l’unité divine.

Bien entendu, la connaissance religieuse jouit toujours de sacralité. La signification de cette sacralité provient du fait que le respect que les croyants ont pour la théologie n’est pas le même que celui qu’ils éprouvent envers les sciences de ce monde, et le respect que leur inspire les savants religieux est différent de celui que leur inspirent les autres savants. Or cela n’est pas incompatible avec le fait de critiquer leur pensée. Le fait de la critiquer est un principe que les savants religieux ont eux-mêmes énoncé et cela est plus vrai encore lorsqu’il s’agit de critiquer un décret émanant du gouvernement ; car le pouvoir est lié à la puissance, il comporte des conditions nécessaires et des conséquences que l’on ne peut s’abstenir de critiquer.

*N.d.T. : Le terme de croyant est en islam traditionnellement réservé aux musulmans. Cela pourrait poser un problème de traduction car on pourrait penser que l’emploi est exclusif et que les fidèles des autres religions ne sont pas considérés comme des croyants… Il en va de même avec les peuples qui se désignent eux-mêmes comme « les êtres humains » : est-ce à dire que les autres peuples ne sont pas des êtres humains ? Certainement pas. La rencontre permet la découverte de la qualité de croyant ou d’être humain de l’autre, mais n’efface pas le terme traditionnel du vocabulaire…

Références : Ranjbar, Maqsûd, « Âzâdî dar eslâm » (La liberté en islam).

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