La question de l’unité islamique

by Reza

SHAFAQNA – Al-Imane / Yahya Christian Bonaud​ : Cette question donne malheureusement souvent lieu, à mon sens, à des erreurs de compréhensions ou de comportements dans un sens ou dans l’autre, pour la simple raison que son sens n’est pas suffisamment clair pour les uns ou les autres. A ce propos, je crois qu’il n’est pas inutile de rappeler les points suivants:

1. Il n’a jamais, il n’est pas et il ne saurait être question d’arriver à une « unité doctrinale » qui consisterait en un accord unanime de tous les musulmans sur une doctrine unique, à quelque niveau que ce soit. En effet, comme je l’ai écrit de manière plus détaillée dans un autre post, la sorte de « Plus Petit Dénominateur Commun » que constituerait ce « dogme unique » serait tellement réducteur qu’il ne pourrait se composer que de quelques versets du Coran, et encore: à la condition expresse de les citer sans en causer, car dès lors qu’il faudrait en parler, chacun se rendrait compte qu’il les entend d’une manière et que d’autres à ses côtés les entendent tout autrement…

2. La seule unité dont il a été, dont il est et dont il peut être question est une unité « politique », en ce sens que les musulmans comprennent tout simplement que, malgré leurs divergences doctrinales, culturelles et autres, ils appartiennent à une seule et même « aire civilisationnelle » (la « civilisation islamique ») et qu’ils font face à des ennemis communs qui, d’une manière ou d’une autre, combattent ou s’opposent précisément à l’ »islamité » de cette aire ou d’une de ses parties.

3. Une telle « unité politique » n’est possible que si, des points de vue doctrinal et culturel, les musulmans se montrent enfin « ouvert à la différence », c’est-à-dire qu’ils acceptent avec la plus grande ouverture et tolérance que les diverses écoles de pensées à l’intérieur de l’islam peuvent fort bien présenter d’importantes divergences à divers niveaux (diverses visions de la shâri’a , diverses visions de l’histoire, etc.).

4. Une telle « unité politique » est également tout à fait susceptible d’être étendue à des unions avec d’autres « entités politiques », qu’elles soient fondées sur des bases religieuses (union avec des chrétiens et/ou des juifs antisionistes ou altermondialistes, par exemple) ou même des bases idéologiques non religieuses (union avec des laïcs ou des marxistes antisionistes ou altermondialistes, par exemple).

5. Cela dit, une telle union « politique » étant fondée sur un respect et une tolérance mutuels, elle n’est possible que si les gens se connaissent et connaissent les éléments qui les unissent et les éléments qui les séparent. C’est seulement avec une telle connaissance mutuelle qu’ils peuvent comprendre que les éléments qui les unissent suffisent à justifier leur union et que les éléments qui les séparent ne sont pas de nature à justifier une division et encore moins une inimitié.

6. C’est une telle connaissance mutuelle qui était et reste le but des diverses démarches « pour le rapprochement des écoles théologico-juridique islamiques » (taqrîb bayna l-madhâhib). Il n’est pas sans intérêt de noter à ce propos que lorsque Hassan al-Bannâ fut consulté sur l’idée d’une « fondation pour l’unité islamique » (wahda islamiyya), il déclara clairement qu’une « unité doctrinale » lui paraissait irréalisable et qu’il lui semblait préférable de parler d’une « fondation pour le rapprochement des écoles islamiques » (taqrîb bayna l-madhâhib), et c’est bien cette idée qui fut retenue pour la dénomination officielle du « dâr at-taqrîb bayna l-madhâhib, fondée à cette époque par le shaykh d’al-Azhar Mahmoud Shaltout, puis du « madjma’o t-taqrîb bayna l-madhâhib fondé à Téhéran après la Révolution islamique.

7. Cependant, il reste à dire qu’une véritable « unité doctrinale » peut aussi être évoquée, non seulement dans le cadre de l’islam, mais même en l’étendant à bien d’autres enseignements religieux et spirituels. Mais une telle « unité doctrinale » n’est envisageable qu’à des niveaux où tous les enseignements spirituels authentiques se rejoignent, ou plus précisément « coïncident » dans leur sens et leur essence tout en divergeant dans leurs expressions, ce niveau étant pour l’essentiel celui de la « métaphysique pure » (pour reprendre une expression de René Guénon). En ce sens, on peut véritablement parler d’une « unité transcendante des religions », même si cette « unité transcendante » ne se manifeste certainement pas avec la même plénitude dans toutes les religions et dans toutes leurs écoles, et encore moins dans toutes les formes historiques et formalisations dogmatiques de ces diverses religions et écoles.

8. Il resterait à évoquer encore un autre aspect, encore différent, même s’il n’est pas sans liens avec les aspects déjà évoqués (« unité politique », « rapprochement doctrinal » et « unité transcendante »), qui est celui que l’on désigne par l’expression de « dialogue entre les civilisations » ou « entre les cultures », mais cela demanderait un sujet à part, car cet aspect est peut être encore plus incompris, même par beaucoup de ceux qui en parlent.

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