Interview avec Tariq Ramadan

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SHAFAQNA – Parmi les principes cardinaux que nous, occidentaux, cultivons, figurent la tolérance et le respect des autres cultures jusqu’au refus de porter tout jugement sur celles-ci. Toutes les cultures se valent, répétons-nous volontiers. Mais cet axiome admis, implique-t-il que l’on puisse intégrer toutes les valeurs des diverses cultures, à supposer qu’additionnées, elles soient compatibles entre elles ? On nous dit que les Français de culture musulmane doivent être considérés comme des Français à part entière. Cela va de soi, et ce qui vaut pour la France vaut pour tous les pays démocratiques. On remarque cependant que, vision multiculturaliste oblige, la prégnance de l’islamisme sur la société française (et belge) est aujourd’hui telle que les interprétations de certains passages du Coran quant au halal, le licite, et le haram, l’illicite, sont devenues des questions considérées par beaucoup comme relevant du débat public, comme s’il était légitime de vouloir intégrer, en faveur de la minorité musulmane, des lois coraniques dans le droit commun démocratique.

« La femme sans voile est comme une pièce de deux euros »

Tariq Ramadan déclare qu’il faut « intérioriser la sensibilité » des musulmans. S’il s’agit de comprendre l’Autre dans sa sensibilité, on ne peut qu’être d’accord. Mais pourquoi cette compréhension devrait-elle impliquer un devoir d’intériorisation ? La sensibilité des membres d’un groupe étant par définition subjective, et renvoyant ici à une « mentalité communautaire », au nom de quoi devrions-nous intégrer la sensibilité d’une minorité arrivée récemment en Occident, surtout si certaines mœurs procédant de cette mentalité ou de cette culture s’avèrent en contradiction avec les principes démocratiques occidentaux ?

Il faut bien saisir ce que signifie, pour les musulmans intégristes (je précise), la « sensibilité musulmane ». Voici, par exemple, comment, invité à s’exprimer sur l’islamophobie dans une école suisse, Hani Ramadan (le frère de Tariq), a expliqué aux collégiens sa vision de la femme non voilée : « Une femme est comme une perle dans un coquillage. Si on la montre, elle crée des jalousies. Ici, la femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Visible par tous, elle passe d’une main à l’autre. » Hani Ramadan n’est pas n’importe qui : docteur ès lettres, directeur du Centre islamique de Genève, il est une voix autorisée, et comme telle, très souvent invitée à exprimer son point de vue dans les médias, principalement suisses, lors de débats relatifs à l’islam. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que Hani Ramadan lançait des propos saugrenus. Je rappelle sa tribune dans Le Monde, « La charia incomprise », où, à l’occasion de la condamnation à mort par lapidation de Safiya et Amina au Nigeria, il justifia les châtiments ordonnés par la charia : « La lapidation prévue en cas d’adultère n’est envisageable que si quatre personnes ont été des témoins oculaires du délit. Ce qui est pratiquement irréalisable […]. Ces peines ont surtout une valeur dissuasive […]. Parce qu’il s’agit d’une injonction divine, la rigueur de cette loi est éprouvante pour les musulmans eux-mêmes. Elle constitue une punition, mais aussi une forme de purification. » « Pratiquement irréalisable » ? En l’occurrence, elle fut réalisée, et ce fut très loin d’être un cas isolé. Voilà pour la vision intégriste.

« Les pays arabes ne reconnaissent pas l’individu »

De manière générale, la première expression de la sensibilité musulmane, telle que nous pouvons la percevoir aujourd’hui, ce sont des sociétés où les commandements religieux l’emportent majoritairement sur les droits humains, et où l’esprit critique est souvent subordonné à la soumission religieuse. Or, l’individu dans les sociétés occidentales modernes et sécularisées se vit libre de toute détermination religieuse, jouit de droits humains civils et naturels, et du droit de critiques, quand bien même celles-ci seraient ressenties comme offensantes ou blasphématoires par certains. Par contre, écrit Tahar Ben Jelloun, « les pays arabes ne reconnaissent pas l’individu. […] Ils donnent la priorité au clan, à la tribu, à la famille sur la personne. Quand on naît musulman, on fait partie de la “Maison de l’islam” et on n’a pas le droit de la quitter. Si on sort de cette maison, on devient apostat, c’est-à-dire un renégat, quelqu’un qui a renié son appartenance, ses racines, et qui doit être puni. L’apostat […] est considéré comme un traître, puni de mort. »1

À la question de savoir ce qui fait le plus peur aux islamistes, Tahar Ben Jelloun répond : « La liberté d’expression, le doute, la liberté de conscience, le fait de croire ou ne pas croire. […] Or, il est clair qu’elle [la liberté] est rejetée par une partie des musulmans de France. C’est peut-être d’ailleurs à cause de ce rejet […] que certains ne s’intègrent pas. […] Le débat, le simple débat sur la laïcité y est impossible. […] Pas de laïcité, cela veut dire pas […] de doute, pas de contestation. L’islam est sacré. On n’y touche pas. Cela témoigne aussi de ce que les musulmans, dans leur grande diversité, se sentent vulnérables. » Quant à la modernité, elle est « difficile à faire entrer dans les mentalités et dans les comportements. Or la modernité se mesure d’abord par la place qui est faite à la femme dans le système social. La modernité, c’est aussi la reconnaissance de l’individu. Or, dans les sociétés arabo-musulmanes, […] c’est le clan, la famille, la tribu qui priment, ce n’est pas la personne. D’où l’absence de progrès social, d’où l’attachement à l’islam en tant que référence commune à toutes les couches sociales, devenant aussi une morale, une culture et un refuge identitaire. »

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