La condition des animaux en Islam

by Reza

SHAFAQNA – Oumma / Ahmadou M. Kanté : Nous partons de la thèse selon laquelle la maltraitance de l’animal quel qu’il soit, quelles qu’en soient les formes et quelles que soient les façons de la « justifier », est la conséquence d’une conception anthropocentrique des valeurs.

C’est dire que ce fléau procède d’une vision qui considère que l’animal n’a de l’importance qu’en fonction de l’utilisation que l’humain peut en faire. Le corollaire de cette thèse est que la sortie souhaitable de la maltraitance à la bientraitance de l’animal passe nécessairement par une forte remise en cause de toute spiritualité, croyance, philosophie ou éthique qui consacre l’humain comme seul dépositaire d’une dignité morale et ne donne à la « nature » et à l’animal qu’une valeur instrumentale.

Les débats éthiques en cours témoignent heureusement d’un refus de la croyance naïve selon laquelle, les défis que pose la maltraitance animale sont seulement et d’abord d’ordre économique, politique, juridique et technique. Ces réflexions sur le statut éthique de l’animal sont dominées par la littérature occidentale où philosophes, éthiciens et autres penseurs soutiennent des thèses adossées à des traditions philosophiques grecques et judéo-chrétiennes en vue de la refondation de l’éthique aux fins d’une régulation vertueuse du rapport à l’animal.

Dans ce cadre, deux interrogations majeures sont au centre des préoccupations relatives à la problématique de la maltraitance animale, à savoir : quelle sorte de rapport moral pourrait-il exister entre les humains et l’animal ? Ensuite, où puiser le fondement de ce rapport ?

Cette contribution vise à montrer qu’il est utile d’enrichir ces réflexions d’ordre éthique par des apports issus de sphères culturelles et religieuses non occidentales notamment celle islamique.

Ethique islamique de la bientraitance animale à la lumière du Coran

Parler d’Éthique dans une perspective islamique, c’est se consacrer à la recherche de fondements puisés dans les références scripturaires que sont le Coran et le hadith et aussi dans les efforts d’interprétation des oulémas et penseurs, qui donnent sens à l’action de l’homme comme sujet moral.

Mais avant d’aller plus loin, il nous semble nécessaire de fustiger toute position essentialiste qui attribue à l’Islam tous les maux des sociétés ou groupes voire individus qui s’en réclament. Dans la même veine, nous nous désolidarisons de propos concordistes et peu pertinents du genre : « tout ce qu’ils disent sur le bon traitement des animaux a déjà été dit par le Coran et les hadiths ! » ou pour le moins pessimistes et attentistes du genre : « S’ils avaient respecté les enseignements de l’Islam, ils n’en seraient pas là !».

Entre une ancienne éthique qui meurt et celle nouvelle qui hésite à naitre, ou à renaitre, il y a place à un dialogue large et inclusif des sphères religieuses et culturelles du monde entier, notamment l’islam. Dans cette perspective de dialogue pour la « bientraitance » de l’animal, il ne saurait être question de laisser en rade les références scripturaires de l’islam (Coran et hadiths) qui comportent des éléments d’éthique auxquels les populations musulmanes sont censées être plus sensibles.

A l’entame de l’exposé de réflexions préliminaires qui va suivre, nous posons la question suivante : « En quoi le Coran et les hadiths peuvent-ils servir de justificatifs ou de motifs à une obligation morale de bientraitance animale ? »

Selon le Coran, toute la création est un réservoir de signes (âyât) qui manifeste les attributs divins d’Omnipotence et d’Omniscience et mérite respect de la part de l’homme qui est invité à s’en émerveiller et à s’en étonner :

« N’ont-ils pas médité sur le royaume des cieux et de la terre, et toute chose que Dieu a créée » (Coran 7 : 185) 

C’est ainsi qu’il existe deux catégories de signes : les signes du Livre (le Coran) comme couronnement de la révélation et les signes de la Création dont celle des animaux. Les noms d’animaux « La Vache » (al baqarah), « Les Bestiaux » (al an ‘âm), « Les Abeilles » (an-nahl), « Les Fourmis » (an-naml), « L’Araignée » (al ‘ankabût), « L’Eléphant » (al fîl) donnés à des sourates ainsi que ceux qui y sont mentionnés indiquent l’importance symbolique qu’ils revêtent pour leur créateur et auteur du Coran.

Une première lecture du Coran orientée vers la thématique du statut de l’animal permet de classer les versets qui en parlent dans les intitulés suivants : existence et dignité ; valeur de signe ; âme spirituelle ; diversité et beauté ; la valeur de parabole et d’analogie ; valeur d’imitation et d’enseignement ; valeur de service. Ces intitulés mettent un bémol sur le concept de l’animal-ressource.

Existence et dignité 

Le mystère du processus de venue à l’existence fonde chez le croyant qui tient pour vrai que c’est Dieu seul qui en est l’auteur, une profonde révérence pour Celui-ci et un émerveillement sans cesse renouvelé face à l’existence de ce qui existe. Même pour le non croyant, cette étrangeté qui fait que la « nature » soit quelque chose plutôt que rien, selon la phrase de Leibniz, lui confère une valeur intrinsèque et inhérente méritant respect et considération. Tout cela se passe en dehors de l’intervention et des préférences humaines et comporte du sens. Croyants et incroyants convergent dans l’émerveillement face à ce qui est mais divergent quant à la raison de leur commune attitude. Voici quelques versets qui illustrent cette thématique suivis de brefs enseignements qu’on peut en tirer :

             « Quand ils arrivèrent à la Vallée des Fourmis, une fourmi dit : «Ô fourmis, entrez dans vos demeures, [de peur] que Salomon et ses armées ne vous écrasent [sous leurs pieds] sans s’en rendre compte» (Coran 27 : 18).

Enseignement : l’animal cherche à conserver sa vie et celle de sa communauté (nous verrons que le Coran applique le terme de « Oumma » aux animaux comme aux humains) et cette fourmi dont on pourrait parler de l’identité ailleurs laisse comprendre que le prophète-roi Salomon et ses troupes ne sauraient les écraser juste pour le faire.  Elle donne bien un exemple d’application du devoir de protéger et ne risque pas d’être accusée de non-assistance à fourmis en danger.

               « Et Allah a créé d’eau tout animal. Il y en a qui marche sur le ventre, d’autres marchent sur deux pattes, et d’autres encore marchent sur quatre. Allah crée ce qu’Il veut et Allah est Omnipotent. » (Coran 24 : 45).

Enseignement : dans la diversité de leurs modes de locomotion, les animaux sont une illustration de la Volonté d’Allah de créer de la diversité spécifique s’entend ici.

            « Il n’y a point de bête sur terre dont la subsistance n’incombe à Allah qui connaît son gîte et son dépôt ; tout est dans un Livre explicite » (Coran 11: 6).

Enseignement : Dieu est le garant de ce qui est nécessaire à la nourriture de l’animal et cela requiert une connaissance parfaite de son écosystème, de sa place et de sa fonction dans la biosphère.

             « N’ont-ils pas vu que Nous poussons l’eau vers un sol aride, qu’ensuite, Nous en faisons sortir des cultures que consomment leurs bestiaux et eux-mêmes? Ne voient-ils donc pas ? » (Coran 32 : 27). Enseignement : allusion à ce même souci de Dieu pour les conditions d’existence de l’animal.

           « … Qui du ciel, a fait descendre de l’eau avec laquelle, Nous faisons germer des couples de plantes de toutes sortes. «Mangez et faites paitre votre bétail». Voilà bien là des signes pour les doués d’intelligence » (Coran : 20 : 53-54).

Enseignement : il incombe à l’humain de s’occuper des conditions de vie du bétail dont il est le « propriétaire ». Ici apparait la notion de responsabilité à l’égard du bétail.

La valeur de signe : invitation à scruter l’animal    

Tant que la mentalité de l’animal-ressource prévaudra, il y aura un obstacle majeur à l’émergence d’une éthique de la « bientraitance animale » Par contre, le Coran rend possible une autre façon de se représenter la « nature animale » eu égard aux valeurs et significations plurielles qu’il lui accorde.

Dans ce cadre, l’analogie que le Coran établit entre Lui-même et les mondes (al ‘âlamîn) est d’une pédagogie remarquable et fort instructive. Autant les versets du Coran sont des signes « âyât », faits de lettres arabes ayant chacune son identité propre et associés d’une certaine façon pour faire sens, autant les cieux, la terre et ce qu’il y a entre les deux (pour reprendre une expression du Coran « wamâ baynahumâ » sont des « âyât » faits de ces myriades d’êtres qui les peuplent et de ces multiples phénomènes qui s’y déroulent. C’est en cherchant à comprendre les signes du Coran et aussi les signes des mondes que l’on devient intelligent. Dès lors, toute la création observable devient transparente car rien n’est là par hasard et sans signification. D’ailleurs, le père des humains avait reçu le don de la capacité à nommer « toute chose » dès qu’il a été investi Calife de Dieu sur terre : « Et Il apprit à Adam tous les noms » (Coran 2 : 31) Voici des versets qui illustrent cette thématique :

             « Ne considèrent-ils donc pas les chameaux, comment ils ont été créés, et le ciel comment il est élevé, et les montagnes comment elles sont dressées et la terre comment elle est nivelée ? » (Coran 17 : 20).

Enseignement : il n’est pas difficile de comprendre que l’allusion au chameau s’explique par la familiarité du bédouin, qui est le premier à entendre le Coran, avec cet animal. Mais tout de suite après, sont mentionnés des domaines d’observation qui concernent tout le monde. Vu que le bédouin vit au quotidien avec le chameau, il en connait certainement quelques facettes à travers l’habitude du regard routinier et désintéressé.

Toutefois, le Coran l’invite, et au-delà de lui, toute le monde, à un supplément d’observation pour aller plus loin et méditer sur le « comment » de la création du chameau. En d’autres termes, l’observateur est invité à se poser la question de ce qui fait que le chameau soit chameau et de ce qui le distingue des autres animaux ? Ainsi, les bases d’une science du monde animal sont posées sur la base d’un va-et- vient entre l’observation et la réflexion.

             « Certes dans la création des cieux et de la terre, dans l’alternance de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue en mer chargé de choses profitables aux hommes, dans l’eau que Dieu fait descendre du ciel, par laquelle il redonne vie à la terre une fois morte et y dissémine toute sorte d’animaux, dans la variation des vents, et dans les nuages soumis entre ciel et terre, dans tout cela, il y a des signes pour des gens qui réfléchissent » (Coran 2 : 164).

Enseignement : chacun des énoncés mentionnés dans ce verset est l’objet d’un domaine de connaissance qu’il convient de toujours plus et mieux approfondir et qui de nos jours ont pour noms : astronomie, mécanique céleste, océanographie, météorologie, biologie des sols, biodiversité (l’expression coranique est « min kulli dâbbah »), géographie, etc.

               « Parmi Ses signes est la création des cieux et de la terre et des êtres vivants qu’Il y a disséminés. Il a en outre le pouvoir de les réunir quand Il voudra. » (Coran : 42 : 29). Enseignement : le signe de la biodiversité revient en plus de l’information selon laquelle l’animal ne périt pas au sens de finir au néant. Il meurt et retourne à Dieu.

             « Et dans votre propre création, et dans ce qu’Il dissémine comme animaux, il y a des signes pour des gens qui croient avec certitude. » (Coran 45 : 4)

            « Vous avez certes dans les bestiaux, un sujet de méditation. » (Coran 23 : 21)

            « N’as-tu pas vu que, du ciel, Allah fait descendre l’eau? Puis Nous en faisons sortir des fruits de couleurs différentes. Et dans les montagnes, il y a des sillons blancs et rouges, de couleurs différentes, et des roches excessivement noires. Il y a pareillement des couleurs différentes, parmi les hommes, les animaux, et les bestiaux. Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah. Allah est, certes, Puissant et Pardonneur. » (Coran 35: 27-28)

Enseignement : autre mention de la biodiversité spécifique par la variété de coloration de la peau des animaux dont la science moderne commence à mieux comprendre la nature et le fonctionnement. A ce niveau, il ne s’agit pas d’en dire plus.

La nature spirituelle de l’animal : sa participation à la psalmodie cosmique 

L’acceptation d’une source de vérité qui vient en supplément à la raison, et non pour la disqualifier, pourrait être une alternative à l’anthropocentrisme radical qui nourrit la mentalité adossée au concept de l’animal-ressource. Cette source autre est appelée révélation par les croyants notamment de la tradition abrahamique qui la considèrent comme une guidance divine. C’est ainsi que le Coran nous donne à méditer sur non pas une activité mais une œuvre cachée et voilée aux modes de connaissance ordinaires dont est capable l’humain. Cette œuvre d’ordre spirituel imperceptible de l’humain consiste en une sorte de psalmodie cosmique accomplie par toutes les créatures sous le mode de ce que le Coran appelle Tasbîh (déclamation de la louange de Dieu).

Il s’agit d’un service spirituel constitutif de la créature et qui est une fin en soi. Tout le cosmos n’existe que d’être le chantre incessant de la Louange de Dieu :

 « Les sept cieux et la terre et ceux qui s’y trouvent, célèbrent Sa gloire. Et il n’existe rien qui ne célèbre Sa gloire et Ses louanges. Mais vous ne comprenez pas leur façon de Le glorifier. Certes c’est Lui qui est Indulgent et Pardonneur. » (Coran 17: 44) 

Seuls les humains et les jinns, les deux êtres dépositaires de libre arbitre peuvent s’affranchir de cette fonction spirituelle. Dans une telle perspective, la « nature » y compris l’animal ne peut pas être réduite à de la matière et à de la ressource. L’animal offre toutes sortes de services à l’humain tout en étant en prière pour accomplir une fonction à elle inhérente. Elle est dotée d’une âme spirituelle, de laquelle on ne peut la séparer, qui mérite respect et considération.  C’est donc une autre « nature » de l’animal qui est révélée laquelle fait que celui-ci accomplit jusqu’à sa mort la célébration sans relâche de la Louange de Dieu (tasbîh bihamdillah) et la prosternation devant Sa grandeur (sujûd).

Ces versets nous disent qu’en plus des fonctions et rôles que le savoir scientifique nous permet d’observer et d’expliquer dans une certaine mesure, les créatures ont un comportement spirituel. L’animal est créé pour participer à la Gloire de Dieu et pas seulement pour les usages que les humains peuvent en faire. A ce sujet, voici des versets incontournables :

            « Nous avons certes accordé une grâce à David de Notre part. Ô montagnes et oiseaux, répétez avec lui (les louanges d’Allah) » (Coran 34 : 10)

           « N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? » (Coran 22 : 18)

Le cas du prophète Dâwud (David) célébrant le Tasbih en cœur avec des oiseaux et des montagnes opère comme un signe dans les signes vu que la frontière humain-animal et humain-pierre devient caduque pour laisser place à une fraternité et une communion dans la louange à Dieu.

Cette exception peut-être comprise dans le sens où c’est un honneur qui lui a été fait, peut-être parce-que sa Psalmodie de la louange de Dieu était tellement sincère, intense et profonde que Celui-ci a voulu le faire accompagner par tout le cosmos dans sa composante vivante (les oiseaux) comme dans sa composante inanimée (la pierre). On sait aussi toujours par le Coran, que cette rupture de frontière est offerte à Salomon qui parlait et entendait les animaux. Toutefois, Salomon avait à son service des animaux, des jinns et le vent pour ne parler que des non humains, alors que David était en service cultuel avec des oiseaux.

L’existence révélée de cette âme spirituelle chez l’animal fait de lui une créature enchantée par une sorte de qualité propre, un attribut réel mais caché ou voilé à la raison et qui lui donne une valeur inhérente et intrinsèque indépendantes de la subjectivité humaine.

A travers cette optique théologique, apparaît une nouveauté significative en ce que la reconnaissance de cette dimension spirituelle de la « nature » animale peut aider à affaiblir la rage de possession et de domination qui alimente toutes les maltraitances infligées à cet être vivant.

Libéré de l’emprise carcérale du concept animal-ressource, l’humain devient capable de penser et d’assumer un rapport à l’animal bâti sur l’obligation morale de bientraitance. A l’aune de la morale islamique, la bientraitance notamment animale peut recouvrer les trois notions suivantes : Ihsân (bel-agir, bienfaisance), Rahmah (compassion, miséricorde), et rifq (douceur, tendresse). A ce stade, nous n’en dirons pas plus sur les fondements scripturaires de cette triptyque ni sur les modalités de son application.

Cependant, il est crucial pour ne pas contredire le dogme de l’islam de faire la différence entre cette « nature » spirituelle de l’animal et sa sacralisation par le truchement du panthéisme, de l’animisme ainsi que des cosmovisions apparentées plus récentes comme l’égalitarisme biocentrique.

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