Arabie saoudite : silence et craintes des pays arabes

by Reza

SHAFAQNA – TSA-Algéri / : Le sentiment d’encerclement croissant par son rival iranien pousse l’Arabie saoudite à revoir sa stratégie en matière d’alliances. Un chamboulement dont les pays arabes préfèrent se tenir à l’écart craignant une escalade des tensions dans la région.

La peur de voir l’Iran -leur ennemi juré- s’imposer comme un leader régional et développer un programme nucléaire a poussé Israël et l’Arabie saoudite à devenir des alliés de circonstance. « Nous sommes prêts à échanger des renseignements avec les pays arabes modérés pour stopper le danger iranien », avait déclaré mi-novembre au site saoudien Elaph, le chef d’état-major israélien, Gadi Eizenkot. Une première, largement commentée par les observateurs de la région. Il y a quelques semaines, Riyad n’avait pas réagi à l’installation par Israël de portiques de sécurité à l’entrée de l’Esplanade des mosquées d’Al-Qods. Signe d’une nouvelle ère ?

Alliance avec Israël

Les événements des derniers jours – Riyad a refusé d’accorder des visas à des joueurs israéliens qui souhaitaient participer à une compétition internationale d’échecs– ont néanmoins montré que la perspective d’une « normalisation »  de la relation israélo-saoudienne était encore loin.

« Avec la décision unilatérale de Trump sur Jérusalem et son exploitation par son grand rival iranien mais aussi par Erdogan, le prince-héritier Mohammed ben Salmane semble avoir pris conscience des risques d’isolement pour le royaume et des limites des initiatives américaines comme en témoigne le refus saoudien d’octroyer des visas aux joueurs israéliens pour leur participation aux championnats d échecs », observe François-Aïssa Touazi, ancien diplomate et cofondateur du think-tank CapMena.

Pourtant, la convergence d’intérêts et le rapprochement entre Washington, Riyad et Tel Aviv pour combattre leur ennemi commun aurait pu permettre aux États-Unis et à l’Arabie saoudite de jouer un rôle inédit, estime l’ancien diplomate. « Cela aurait pu être une opération gagnants-gagnants en permettant à l’Arabie saoudite de se positionner comme le leader incontestable du monde sunnite, et à Donald Trump de réussir là où tout le monde avait échoué ». Mais, précise François-Aïssa Touazi, « ils ont surévalué la capacité d’ouverture du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, ainsi que leur capacité d’influence sur les parties, convaincus qu’elles feraient les concessions nécessaires pour une relance effective du processus de paix. Netanyahu reste sur une ligne très dure en phase avec son électorat ».

Si l’influence et l’expansionnisme de Téhéran dans la région (au Liban, en Syrie, au Yémen, en Irak) inquiète Riyad et Tel Aviv, un rapprochement trop marqué serait de toute manière mal perçu dans l’opinion. « La source de la légitimité du régime saoudien n’est ni sa richesse pétrolière, ni sa relation avec les États-Unis, mais le fait qu’elle soit la gardienne des lieux saints musulmans de La Mecque et de Médine », écrit le quotidien israélien Haaretz dans une tribune publiée le 25 décembre. « Cela signifie que bien qu’ils puissent faire des affaires avec l’Occident, et même s’en remettre s’il le faut aux Israéliens pour leur défense nationale, ils répugnent à faire tout ce qui compromet leur image de porte-étendard de l’Islam », résume l’éditorialiste.

Silence du monde arabe 

Certes, l’Arabie saoudite, sans doute inquiète pour sa légitimité, a fini par rétropédaler ces derniers jours. Mais il faut remarquer que l’annonce américaine de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’état hébreu a peu mobilisé le monde arabe.

« Compte tenu de la sensibilité de la question de Jérusalem, on s’attendait à des mobilisations plus fortes dans le monde arabe qui nous avait habitués dans le passé à des grandes démonstrations de force – tant au Maghreb qu’au Machrek- et a des réactions diplomatiques plus affirmées. Cela n’a pas été le cas », observe M. Touazi. « Outre une certaine forme de lassitude, les pays de la région sont surtout préoccupés par leurs transitions difficiles, suite aux printemps arabes, et les risques de tension sociale dans un environnement marqué par une forte menace djihadiste. À cela s’ajoute les profondes divisions et crises entre les pays arabes, qui fragilisent profondément la région ».

En se contentant d’une simple condamnation verbale, la Ligue arabe a montré de son côté qu’elle était en décalage avec les revendications des Palestiniens, et incapable de prendre une position ferme. Dans ce contexte, seule la Turquie, qui a des relations houleuses avec Riyad, a haussé le ton. Et profite de l’occasion pour incarner le rôle de grand défenseur de Jérusalem. Il y a quelques jours, le président Erdogan a reproché aux pays arabes d’avoir réagi de manière trop timorée à la décision de Washington. Après avoir appelé les dirigeants du monde entier à reconnaître la partie orientale de la ville sainte comme capitale de la Palestine, il a indiqué que la Turquie ouvrira une ambassade à Jérusalem-Est.

En outre, peu de réactions ont émané suite aux informations du New York Times début décembre sur un possible plan de paix israélo-palestinien, élaboré par Jared Kushner (gendre de Donald Trump) et soutenu par le prince héritier Mohammed ben Salmane.

« Selon plusieurs sources gouvernementales et diplomatiques palestiniennes, libanaises, saoudiennes, européennes, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) réputé particulièrement proche de M. Kushner, aurait proposé au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, en visite à Riyad le mois dernier, un plan de paix particulièrement favorable aux Israéliens. Il consisterait en la création d’un État palestinien autonome, sans continuité territoriale avec la Cisjordanie, ayant comme capitale Abou Dis, un village palestinien dans les environs de Jérusalem-Est annexé, mais qui en est coupé par le mur de séparation encore en pleine construction », écrit le journal libanais L’Orient Le Jour le 8 décembre. Des informations rapidement démenties par l’Arabie saoudite mais qui sont pourtant lourdes de sens puisque cela signifie que Riyad renonce à la question palestinienne.

Pour rappel, l’initiative de paix de la Ligue arabe présentée en 2002 par l’Arabie saoudite prévoyait la restitution aux Palestiniens des territoires occupés depuis 1967 pour qu’ils y installent leur État, et promettait en échange une normalisation totale des relations israélo-arabes avec la reconnaissance d’Israël.

MBS, roi en son Royaume 

À Riyad, l’obsession de la menace iranienne aux frontières du Royaume pousse, depuis bientôt trois ans, Mohammed ben Salmane à revoir ses priorités. En 2015, il a engagé une coûteuse intervention militaire au Yémen (pour Riyad, la rébellion houthiste d’obédience zaïdite (branche du chiisme) est orchestrée par Téhéran).

Puis, la supposée proximité du Qatar avec l’Iran a conduit Riyad a rompre ses relations diplomatiques avec le petit émirat gazier en juin dernier. Il y a quelques semaines, le Liban est devenu le terrain de jeu du Royaume pour afficher sa rivalité avec Téhéran. Dans ce contexte, les voisins de Riyad apportent un soutien indéfectible mais les autres pays préfèrent se tenir à l’écart.

En interne, l’impétueux jeune prince-héritier qui a promis à son pays de le moderniser doit se montrer prudent. Car la menace extérieure iranienne devenue la priorité numéro 1 de Riyad ces dernières années pourrait mettre en péril les réformes en interne. « La transformation de l’Arabie saoudite voulue par MBS repose sur son plan Vision 2030. Sa réussite passe par la capacité de Riyad à attirer des investisseurs étrangers qui vont s’engager sur le long terme, et dans le contexte actuel, l’instabilité régionale peut constituer un frein a la réussite des réformes de MBS », prévient François-Aïssa Touazi.

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